Gaza : Après la guerre, la « question de la Palestine » revient en force sur le tapis

carte de Gaza

 Source Googlemaps

Quelles seront les conséquences de la dernière agression israélienne perpétrée à  l’encontre des Palestiniens sur le territoire exigu de Gaza ?

Par Malek El-Khoury, ancien coordinateur de l’aide humanitaire au Liban.

Gaza est un territoire long d’environ 40km en moyenne sur une largeur de 9km, et son plus haut sommet culmine à  100mètres; Il s’agit donc d’une plaine sans relief. Cette bande étroite est encerclée au Nord et à  l’Est par Israà«l, à  l’Ouest par la mer et au Sud par l’Egypte (la longueur de la frontière avec ce pays est de 12km). Avec 1.5million d’habitants répartis sur une surface d’environ 360km2, la densité de la population y est parmi les plus élevées au monde. Les Palestiniens de Gaza vivent sous blocus combiné israélien et égyptien depuis plus de 2 ans. Les approvisionnements en eau, électricité, médicaments ou alimentation pénètrent le territoire au compte goutte et au bon gré d’Israà«l et de l’Egypte, les deux entités qui contrôlent les frontières.

Israà«l s’est fixé comme premier objectif d’éradiquer de Hamas, avant d’abaisser ses prétentions en annonçant vouloir seulement affaiblir Hamas et le « casser » militairement. Auparavant Israà«l avait aussi exigé la libération du soldat prisonnier, Gilad Shalit. Les deux objectifs, de libérer le prisonnier de guerre et d’arrêter le lancement de roquettes sur Israà«l, n’ont pas été atteints. De plus la force de frappe militaire de Hamas (qui a perdu environ 200 hommes sur les 7’000 dont elle dispose) n’a pas été trop affectée, puisque Hamas pouvait continuer la bataille. Israà«l n’a pas réussi non plus à  affaiblir la volonté de se battre non seulement de Hamas, mais de tous les Palestiniens Gazaouites. Leur objectif non déclaré de diviser la population en combattants « terroristes » et habitants pacifistes et résignés n’a pas non plus été atteint. Enfin au moment où Israà«l et Hamas ont tous les deux prétendu avoir décidé d’un cessez-le-feu unilatéral, Hamas a posé deux conditions, celle du retrait complet avant une semaine de tout le territoire et l’ouverture totale des frontières. Or Israà«l sous la double pression, celle de l’investiture de Obama aux USA le 20 janvier et la crainte de voir les combats s’enliser sans obtenir un résultat palpable a dû se retirer aussi vite qu’il est entré dans le territoire, et ouvrir (partiellement) certains points de passage pour l’aide humanitaire.

Le nombre de victimes militaires israéliennes reste inconnu suite à  la censure totale imposée aux médias et à  l’information en général par l’armée israélienne. Pour les connaître, il faudra suivre de près les statistiques des décès israéliens durant le prochain mois, car Israà«l est obligé d’annoncer ses morts dans un délai maximum d’un mois après la date du décès. Peu importera la cause officielle de l’ « accident »,  généralement on note une recrudescence des accidents de route et des décès causés par des chauffards à  cause de la « nervosité » qui fait suite à  une guerre.

Hamas prétend avoir tué entre 40 et 60 soldats « au moins » durant cette bataille. Le chiffre pourrait être supérieur. Ce décompte macabre a plus une influence psychologique qu’une importance militaire, mais il est certain qu’Israà«l n’a aucun intérêt à  annoncer le nombre réel de morts sur le champ de bataille et que Hamas ne peut qu’avancer un chiffre spéculatif, non vérifiable, que de toute façon personne ne prendra au sérieux.

Il est donc possible, sans grand risque d’erreur ni rentrer dans une spéculation ardue et complexe affirmer qu’Israà«l n’a atteint aucun de ses objectifs déclarés et que Hamas a résisté au-delà  des calculs militaires les plus élaborés.

Quelles sont les conséquences de cette bataille d’un point de vue politique?

Israà«l a obtenu un soutien officiel international sans faille, non seulement de la part de son allié traditionnel américain, de la part de ses alliés européens – bien que plus nuancés, mais aussi de la plupart des régimes arabes. Israèl a également obtenu le silence russe face à  cette agression. Ce blanc-seing lui a permis de perpétuer en toute impunité les massacres les plus ignobles de toute l’histoire des guerres au Proche-Orient. Partant du principe que dans une guerre d’un Etat contre des groupes armés, la disproportion doit être de mise afin de pouvoir arriver à  bout de ces groupes, Israà«l a augmenté sensiblement sa « disproportionalité » par rapport à  la guerre du Liban de 2006. Aucun Etat dans le monde n’a condamné cette « barbarie » et cette « sauvagerie ». Au contraire, la faute a été reportée sur Hamas, comme l’on reporte la faute d’une femme violée sur elle-même et non pas sur le violeur.

Une non-victoire claire et franche de la part d’une des armées les plus puissantes du monde et certainement la plus puissante de la région, ceci contre un ennemi dont l’arsenal artisanal est digne de la Première Guerre Mondiale, ne redore pas le blason d’une armée « défaite » en 2006. Elle n’obtiendra probablement pas à  l’avenir un support inconditionnel des démocraties occidentales. Les résultats militaires étant faibles voire nuls par rapport aux moyens engagés, les opposants aux mouvements islamistes ne pourront plus compter sur la seule force de frappe israélienne, si puissante soit elle.

En Israà«l, à  la veille des élections du 10 février, cela laisse régner un certain goût d’amer. Par ailleurs la non-élimination militaire de Hamas renforce sa position non seulement sur l’échiquier palestinien, mais aussi sur la scène moyen-orientale dans son ensemble, voire relance le débat au niveau international sur la résistance armée.

Au niveau palestinien, il est certain que Hamas a acquis une crédibilité nouvelle, une légitimité réelle – après celle issue des urnes aux élections de 2006 – qui va lui permettre d’élargir sa surface de soutien populaire aux prochaines élections. Son adversaire, Mahmoud Abbas (Abou Mazen), a lui, par contre été discrédité par sa soumission totale au diktat israélien.
Toujours au niveau palestinien, quel que soit l’avis que l’on peut porter sur Hamas, il est certain que ce mouvement a fait preuve d’un grand courage, d’une grande capacité de résilience et a prouvé que la résistance d’un peuple est efficace alors que les précédentes guerres conventionnelles entre Israà«l et les pays arabes ont toujours abouti à  la défaite des Arabes, mal organisés, moins bien équipés, moins avancés technologiquement et surtout moins motivés.

La résistance de Hamas est la continuité et le complément de la résistance de Hezbollah au Liban. Ces deux mouvements ont en commun leur idéologie d’inspiration islamique, même s’ils sont de confession différente. Ils « appartiennent » tous les deux au camp opposé à  la politique américaine dans la région, dont le fer de lance est l’Iran. On peut donc affirmer que cette non-défaite de Hamas est une victoire certaine de l’Iran et de son camp. Ce dernier devient maintenant un partenaire incontournable, non attaquable, avec lequel des négociations doivent être enclenchées et les anciennes menaces de guerre ne peuvent certainement plus être brandies.
D’ailleurs le discours d’investiture d’Obama montre clairement que la nouvelle politique américaine sera plutôt celle du dialogue que celle de la confrontation.

Le camp arabe, quant à  lui, se trouve clairement divisé. Il l’a toujours été, mais rarement les Etats ont fait preuve d’autant de clarté dans leurs prises de position et dans le blocage du processus de réconciliation. La « victoire » de Hamas va probablement donner des ailes (et des idées) à  tous les mouvements islamistes d’un côté et de l’autre à  tous les mouvements anti-américains dans les pays arabes. Des troubles vont peut-être avoir lieu, des attentats sont possibles. Hamas risque de l’emporter aux prochaines élections palestiniennes et le projet de 2 Etats (déjà  qui bat de l’aile et qui n’est en tous cas pas viable) est aux oubliettes.

Les « relations » israélo-palestiniennes ultérieures seront axées sur 2 principes opposés et contradictoires, celui de la résistance armée combinée à  celui du projet d’un seul Etat (qui ne peut qu’être soit multiethnique, soit démocratique complètement). On pourrait d’ores et déjà  supposer qu’Israà«l refusera totalement les 2 idées, réfutera cette base de discussion et voudra (paradoxalement) revenir à  l’ancienne proposition arabe de 2002 (Paix contre restitution des terres d’après 67).

Les và“ux israéliens d’éliminer le Hamas en premier lieu, puis de discuter de la solution de deux Etats côte à  côte et finalement de prouver que toute résistance armée à  la superpuissance israélienne est superflue se sont tous évaporés. C’est un échec politique de la part d’Israà«l.

En résumé, Israà«l n’a pas gagné cette bataille, ni militairement, ni politiquement. Hamas par contre a remporté une victoire certaine.
Les conséquences sont qu’Israà«l risque de ne plus obtenir, pour ses éventuelles  batailles ultérieures, le soutien inconditionnel du monde occidental, et en aucun cas sous le prétexte d’être le fer de lance de la « civilisation » occidentale contre la barbarie orientale. Par ailleurs les forces islamistes sont encore une fois victorieuses et risquent de capitaliser leur victoire et d’aller plus loin en provoquant des troubles dans certains pays arabes et/ou vont tenter d’emporter des élections démocratiques et s’installer au pouvoir. Mais nous devons nuancer la notion d’ « islamiste » et comprendre cette terminologie au sens large et ne pas la confondre avec islam ni comparer l’islamisme au christianisme. Je reviendrai plus tard sur cette notion.

Mais la grande victoire de cette dernière bataille est que la « question de la Palestine » est revenue en force sur le tapis au sens d’une lutte contre le sionisme et non plus contre Israà«l ou contre des Juifs. Le débat devient beaucoup plus intéressant et permet de ce fait de replacer les laïcs au devant de la scène et leur redonner le droit à  la parole après une longue période de silence.

Malek El-Khoury, Beyrouth/Genève le 26 janvier 2009.

Publié dans société
2 commentaires pour “Gaza : Après la guerre, la « question de la Palestine » revient en force sur le tapis
  1. najwa bassil dit :

    Bonne anlayse……..

    Comment ce debat pourrait replacer les laics au devant de la scene surtout que pour le moment nous n’avons pas encore entendu leur voix!!!

  2. Conseil dit :

    Voyez cet article
    Israà«l a-t-il perdu la guerre ? Entretien avec l’historien israélien Shlomo Sand.
    http://www.telerama.fr/idees/israel-a-t-il-perdu-la-guerre-entretien-avec-l-historien-israelien-shlomo-sand,38589.php