Le rouge des fraises de la Saint-Valentin est celui du sang des travailleuses marocaines en Espagne

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Publicité pour les fraises de la Saint-Valentin prise au hasard en Suisse romande le 6 février 2012.

Réputée aphrodisiaque, la fraise est avec le champagne et le chocolat dans le trio de tête des produits censés éveiller le désir chez les amoureux qui se redécouvrent une fois par an. Pour d’autres, au début de la chaîne, c’est « l’or rouge », le retour aux «champs de coton» c’est pour les Marocaines.

Les retombées économiques de la culture de la fraise, aussi appelée « l’or rouge » sont très importantes pour la région de Huelva, en particulier dans une période de crise économique aiguë telle que celle que traverse l’Espagne depuis 2009, et dans une région particulièrement sinistrée.
Selon un rapport commandé par la Fédération Internationale des Droits Humains (FIDH), à Huelva, en Andalousie, la culture intensive de la fraise, destinée à être exportée de manière précoce vers les marchés européens, fait appel pendant quelques mois de l’année à une main-d’œuvre temporaire abondante (soit plus de 50 000 personnes), principalement constituée de travailleurs migrants. La FIDH demande à l’Espagne de ratifier la Convention internationale sur les droits des travailleurs migrants et les membres de leur famille.

Une puissance agricole compétitive grâce à la contratación en origen
En 2008, l’Espagne occupe la deuxième place dans l’Union européenne au niveau de la superficie agricole utilisée (25,6 millions d’hectares) derrière la France (28,3 millions d’hectares) et la quatrième place quant au nombre d’exploitations (1,2 millions). L’Espagne se veut une puissance agricole sur le marché commun et cherche à maintenir sa compétitivité. La main d’oeuvre immigrée1 est l’un des moyens de maintenir cette compétitivité, particulièrement la main-d’oeuvre saisonnière ou temporaire de plus en plus féminisée.

Afin de réguler les flux migratoires et de subvenir aux besoins en main d’œuvre d’un secteur peu attractif pour les travailleurs, même en période de chômage important, le gouvernement espagnol a mis en place le système de la contratación en origen. Ce système vise à recruter « à la source », dans leur pays d’origine, des travailleurs qui sont alors convoyés puis répartis dans les plantations. Condition préalable à toute embauche : un engagement à retourner dans leur pays d’origine à la fin de la saison.
Avec l’entrée dans l’Union européenne des pays de l’Est de l’Europe, permettant aux travailleurs de cette région de circuler librement, le recrutement à la source concerne désormais uniquement des travailleuses marocaines. Celles-ci sont choisies parmi les femmes mariées, avec des enfants en bas âge, critères censés assurer un retour au pays et prévenir des tentatives de prolonger leur séjour sur le sol européen.

Les mères d’enfants en bas âge ne s’évadent pas
Sur le terrain, les enquêteurs de la FIDH ont découvert « un certain nombre de problèmes psycho-sociaux dans la communauté des travailleuses marocaines. Par exemple, les femmes enceintes font tout pour dissimuler leur grossesse à leur employeur car elles craignent de devoir arrêter de travailler et donc renoncer à la saison. Lorsqu’elles sont malades, ces femmes hésitent aussi à se rendre dans les centres de santé et à en informer leur employeur ». Les « critères de sélection » des employeurs sont, constate le rapport, « sexistes et paternalistes ». Ainsi, « pour la fraise et encore plus pour la framboise, les doigts de la femme et sa délicatesse supposée conviendraient mieux. Le programme prévoyait de manière non explicite le recrutement en priorité de mères d’enfants en bas âge — une clause supposée empêcher leur évasion pendant la durée ou à la fin du contrat ».

Des conditions d’hébergement carcérales
Bien souvent, les ouvrières ne disposent pas d’une copie de leur contrat de travail, et certaines se voient confisquer leur passeport, ce qui les contraint à rester, loin de tout, cloîtrées sur leur lieu de travail. D’autant, insiste le rapport, que l’aspect temporaire des contrats, combiné au désintérêt des syndicats majoritaires espagnols comme des syndicats marocains, conduisent à une « absence » complète de représentation syndicale.
Quant aux conditions d’hébergement, elles sont parfois carcérales, « en dessous de toute norme. Il s’agit généralement de baraques en préfabriqué éloignées de plusieurs dizaines de kilomètres des zones urbaines et où le minimum en matière d’hygiène n’est pas respecté ».
Étant donné que les contrats ne contiennent pas de date de fin, mais mentionnent uniquement la fin de la saison, les employeurs peuvent donc arguer du ralentissement de la production pour mettre fin au contrat après la période d’essai. Pour ce qui concerne les travailleuses marocaines, elles sont généralement informées de leur retour au pays quelques jours seulement avant leur retour. C’est le cas de plusieurs femmes qui se retrouvent chaque année sur le territoire espagnol sans emploi et sans indemnités de retour alors qu’elles ont été recrutées avec un contrat en bonne due forme. Les premiers risques qu’elles encourent sont de verser dans la clandestinité, d’être exploitées par des employeurs peu scrupuleux ou des réseaux mafieux ou encore de se livrer à la prostitution.
Beaucoup d’exploitations cultivent également la framboise et la myrtille arbustive dans les mêmes conditions. Nos grandes surfaces si promptes à capitaliser sur des labels de commerce équitable invérifiables accompagneront-elles leurs promotions d’informations sur cette forme élaborée d’esclavage? Ne serait-ce qu’au nom d’une civilisation européenne qui vaut plus que d’autres!

Jacques Magnol

Site de la FIDH
Rapport de la FIFH

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