Fernanda Barbosa : corps, mémoire et âme de ballet

 

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Les Noces par le Ballet du Grand Théâtre (2013). Chorégraphie : Didy Veldman. © GTG/Gregory Batardon

 

Lumineux désir de danser

C’est la musicalité corporelle qui la captive en ce mois de février au fil de Mémoire de l’ombre, une pièce que chorégraphie Ken Ossola pour les 22 danseurs du Ballet sur des musiques de Gustav Mahler. Dans une atmosphère mystérieuse, l’ombre, cette éternelle compagne de l’humain dans la plus haute des solitudes déploie ses amples paysages corporels tentent. L’opus tente d’embrasser comme en creux si ce n’est ralentir le monde dans toutes ces dimensions, du crépuscule du romantisme à l’aurore célébrant la nature tout en en taisant pas le tissu anxiogène de toute résurrection. Sur le plateau du BFM, cela se traduit par des mouvements repoussant l’espace autour du corps comme on le ferait d’une matrice placentaire qui sait déjà son devenir mortel.

« Ken Ossola nous a livré huit phrases chorégraphiques que les danseurs ont pu s’approprier. Face à ce matériau, il a fait confiance à notre force de proposition afin de créer notamment certains lifts, des portés au nombre de six. Le chorégraphe nous guide en souhaitant, par exemple, un porté de nature explosive avec deux danseurs qui me soulèvent comme un balancier alors que je projette vélocement une jambe en avant. Ailleurs il souhaite privilégier la marche et un temps moins furtif, plus allongé dans sa qualité appliquée au mouvement. Lors d’un court duo mené avec la danseuse Yu Otagaki, le chorégraphe nous a demandé à chacune de transformer une phrase dansée en créant un solo à partir d’un duo. J’étais enthousiaste ce jour-là en répétition, car Ken Ossola nous a demandé de montrer simultanément les deux soli, comme autant d’énergies qui s’assemblaient parfaitement. Le chorégraphe nous alors proposer de passer à un cercle ou une diagonale, nous laissant travailler ces déplacements. C’est une forme de travail d’équipe qui implique l’interprète dans la création. Comme les couleurs sur la toile, le chorégraphe nous amène à cette forêt mémorielle qui est au cœur de sa vision artistique. » Au chapitre des marches très présentes au fil de Mémoire de l’ombre, Fernanda Barbosa a soigneusement concilier en elle les enseignements retirés notamment au contact du chorégraphe suisse Gilles Jobin pour la création de Two-Thousand-And-Three (2003). « Une marche sur la scène se doit d’être incarnée, habitée. Et c’est par ailleurs l’un des exercices les plus difficiles en danse post-moderne et contemporaine. Marcher, c’est écouter le sol, tisser un réseau de lien avec la matière de la terre. Il y a tout à la fois un déséquilibre et un ancrage dans la marche qui, loin d’être quelconque, doit faire récit et évoquer. Chaque individu  porte une histoire, une mémoire, qui lui revient dans un mouvement de ressac. C’est ainsi qu’il peut conjuguer sa direction avec d’autres. » Fernanda Barbosa explique encore : «  J’aime beaucoup ce passage où la danseuse Sara Shiganeri qui réalise son solo telle une magnifique lumière, voit alors un groupe de danseurs arriver en diagonale auprès d’elle, comme autant d’ombres. Chaque interprète porte alors avec lui sa part mémorielle. A mes yeux, chacun de nous entre dans cette lumière, la prenant avec lui pour l’emmener ailleurs. Si cette marche a une grande qualité de lenteur, il ne faut pas non plus l’abandonner dans l’exécution, sinon cela peut créer le sentiment suivant : Mais quand va-t-on parvenir au terme de cette séquence ? C’est comme prendre un café, se ménager du temps pour que la pensée vagabonde, sur la crête d’un souvenir d’un voyage. Ou prendre le temps de déguster la mémoire, en extraire toute la saveur et l’arôme. »

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