Candace Kucsulain du groupe Walls of Jericho
Où sont les artistes femmes ?
L’affiche du Biubstock Festival était composée à 100% de groupes mâles, alors même que les voix et talents féminins ne manquent guère dans le Métal, le Punk Rock jusqu’aux sets de « djettes »dédiés à ces expressions musicales. Une image frappe, lors du déchainement scénique du bondissant combo de New-York, Madball flanqué d’un chanteur au magnétisme fauve à mi corps entre l’acteur et réalisateur Vincente Gallo et le saxophoniste et comédien John Lurie. Parmi les rangs du public, une juvénile punkette arbore affiche en anglais cet avertissement : « Ne t’approche pas plus, je suis trop bourrée » ; une autre offre cette réplique culte tirée d’un slasher teenager façon Scream :« Ils viennent pour toi, Barbara », alors que contre la balustrade se pose doucement une gentille new wave avec un bonnet « jeune et jolie » courtepointant en lettrages blancs sur fond noir : « Heavy Metal ».
Mais sur scène, nulle trace de ses voix et Girls Bands Heavy ou Death Metal ainsi que Rock puissant, revêche et efficace. Autant d’artistes qui pourraient aisément tenir la dragée haute aux hommes programmés. Que l’on songe aux impressionnantes chanteuse et batteuse de White Lung, l’un des meilleurs groupes de Punk Rock apparu ces dernières années ou à la chanteuse guitariste de Wax Idols. Sans taire les Girls Bands Punk dont les figures étendard du Rock Garage originaires de la ville aujourd’hui sinistrée et en faillite, Detroit, les incroyables Gore Gore Girls, sorte de revival des Stooges en quatuor féminin. Elles sont ultra lookés propulsant voix-guitares-batterie, d’un charme vintage et d’une efficience rythmique à couper le souffle. Au sein des formations de Heavy Metal, les femmes s’expriment avec une étonnante amplitude et diversité au sein de Sister Sin, Otep, Cadaveria.
Mais aussi Maria Kolokouri au détour d’Astarte, Sabina Classen, dont la tessiture serpente de Lemmy Caution (Motorhead) à Janis Joplin pour Holy Moses, la puissante Morgan Lander du groupe féminin Kittie, crossover frappant un peu près à tous les étages du Hard Rock ; Maria Brink, exceptionnelle Screaming Princess de In this Moment, au look d’héroïne manga qui court après Lady Gaga et à la voix mélancolique, dotée d’un grand champ de profondeur émotionnelle flirtant parfois avec la tessiture enfantine et tourmentée d’une PJ Harvey. Comment oublier Angela Gossow (Arch Enemy) ou Alissa White-Gluz (The Agonist), qui pourraient en rendre au plan de voix gutturalesd’outre-tombe et de la théâtralité posturale au chanteur des Français Betraying the Martyrs. Sans taire l’énergique Candace Kucsulain (Walls of Jericho), fight girl en marcel noir et « million dollar baby » aux capacités vocales emplies d’une douleur rageuse, enfiévrée, pour qui la scène est un ring à la démesure de sa présence hors du commun. Potion métallique palpitant dans les veines et fureur punk hardcore des origines fusionnent dans un son qui laisse la voie chez cette artiste hors pair à une reprise étonnement épurée, apaisée et blessée du standard de la ballade folk dû aux Animals, The House of the Rising Sun.
De la campagne à la ville, le temps des mythes et des réalités
Le Festival Biubstock est né dans un champ à Chancy et fut gratuit jusqu’à cette édition budgétée aux environs de 180 000 CHF et proposant des entrées payantes à des prix bien plus abordables (de 22 à 25 CHF la soirée) que la plupart des festivals en Suisse. Le nom de la manifestation est une contraction tiraillée entre deux hommages mémoriels – un jeune défunt et le festival Woodstock – dont les genres rattachés au métal sont courants. En témoigne, samedi 17 août, la référence par Exodus, formation californienne historique ayant inspiré Metallica au décès, le 2 mai dernier, du guitariste californien de 49 ans, Jeff Hannemann issu du mythique groupe de métal californien Slayer, dont le style marie Métal, Punk et Hardcore comme Exodus formé aussi en 1982. Réputé bon vivant, le musicien est mort d’une cirrhose alors qu’il avait déjà été remplacé depuis 2011 par le guitariste Gary Holt, du groupe Exodus, parce qu’il avait perdu beaucoup de force dans son bras droit des suites d’une fasciite nécrosante (atteinte grave des tissus).
Pour Woodstock, la comparaison est historiquement écrasante et ne fait guère sens, hors le fait que les deux festivals sont nés dans un champ. Que reste-t-il dans le Biubstock Festival du rassemblement emblématique de la culture hippie des années 60 qui se déroula à Bethel sur les terres du fermier May Yagsur, à une soixantaine de kilomètres de Woodstock (Etat de New York) et fut aussi en une protestation contre la Guerre du Vietnam ? Certainement pas la dimension « Protest Song » hors les diatribes enflammées de Jello Biafra. Mais peut-être un enthousiasme de bénévoles comme le montre bien le film d’Ang Lee, Hôtel Woodstock (2009). Ou une concordance de dates. 45 ans avant le Biubstock, Woodstock devait se dérouler originellement du 15 au 17 août 1969 et se poursuivant jusqu’à la matinée du 18 août. Mais rien qui ne peut évoquer de loin en loin les 32 artistes, dont Jimi Hendrix, Janis Joplin, John Baez, Greatful Dead, Jefferson Airplane, qui s’y étaient produits sous des conditions parfois dantesques avec ses 50’000 spectateurs prévus, et son demi-million à l’arrivée. Une part de cet événement qui marqua l’histoire du rock comme nul autre, est montré dans le Woodstock, signé Michael Wadleigh, Oscar du meilleur documentaire en 1970, avec un certain Martin Scorsese à la caméra.
While She Sleeps (Angleterre). Festival Biubstock
Esprit des débuts porté disparu ?
« Biub » est le surnom d’un jeune de la région de Chancy proche d’un groupe de la scène locale, Prométhée en concert aux Vernets encore pour cette dernière édition festivalière. Ce batteur disparait accidentellement à 19 ans en juillet 2009. Le décès laissera une forte empreinte sur les jeunes de la région et les communautés dites villageoises. La romancière française Camille Laurens a su parfaitement saisir ce culte du souvenir qui fait apparaître sous une brume électrique d’angoisse portée sur sa propre fin et refigure les disparitions prématurées les inscriptions sur les tombes « ‘Le temps passe, le souvenir reste. ‘ Se souvenir : belle utopie blessée des cimetières et des gens qui aiment. » Parmi les jeunes de 16 à 25 ans d’alors, une voix anonyme rencontrée au bar témoigne : « A Chancy et Avully, il y avait un esprit pionnier, familial, régional et rural autour des premières éditions en plein air depuis 2009. Le Biubstock Festival s’est créé dans le champ où évoluait notre camarade disparu. Juste en face, il y avait l’arbre où, enfant, il grimpait et jouait. Aujourd’hui, regardez autour de vous, c’est une patinoire anonyme, un gigantisme creux qui rejoint celui de la plupart des Festivals sans âme ni autre possible raison d’être que commerciale. Enfin, c’est positif qu’un événement consacré à ces musiques puissent exister en Suisse romande qui plus est dans un lieu central et facilement accessible, ce qui n’était pas nécessairement le cas à la campagne de Chancy ». Timide, le jeune homme précise : « Je ne juge pas et ne cherche nulle polémique, tant cette musique n’a jamais été ma tasse de thé. Mais ce Festival s’est créé autour d’une personne sur le coup d’une intense émotion. Et rien ne vient me rappeler ici, dans l’antre bétonné de la Patinoire des Vernets, cet ami défunt. »
On se demande alors, toujours en compagnie de Camille Laurens : « Qu’est-ce qui se passe exactement ? Est-ce que ça tombe vraiment, comme une pierre dont on n’entendrait même plus la chute, tant c’est profond, l’oubli ? Ou alors est-ce que ça fond comme une bougie, est-ce que ça diminue comme un feu qu’on n’entretient pas, est-ce que ça meurt lentement comme un amour qui meurt ? Y a-t-il quelque chose à faire pour retenir les choses au bord de l’oubli, qu’elles ne perdent pas l’équilibre – quelque chose à tendre au dessus du vide pour éviter qu’elles n’y basculent ? »
Bertrand Tappolet
Le Festival Biubstock, s’est déroulé les 16 et 17 août 2013. Rens. : www.biubstock.ch.