Retour au présent
A genoux, voici Jello Biafra se baptisant, dos au public, à coup d’eau minérale en petite bouteille pet, comme les aime… Nestlé. En poursuivant inlassablement son combat labellisé « anarchiste, anticapitaliste et anti multinationales » (marque alternative déposée) contre les dérives des sociétés ultralibérales, notre Dario Fo déjanté du punk rock a sans doute oublié lors de son concert genevois que ses eaux baptismales sont peut-être embouteillées par la multinationale. Mais aussi que le sympathique Biubstock Festival qui l’accueille a comme partenaires de choix les multinationales US Coca-Cola et Monster Beverages (distribuée par Coca et Pepsi). Or tout le monde sait que la déontologie et l’éthique de ces « sociétés philanthropiques » sont aussi saines et irréprochables que la diététique controversée de leurs pétillantes boissons à vertu additive et saturées de caféine et de sucre. Contacté à la veille de la manifestation, le Festival Biubstock précise: « Le budget de la manifestation est d’environ 180’000 CHF. Si Coca et Monster ne donnent pas directement de l’argent en liquide, il contribue au Festival dans le cadre d’une participation matérielle. » Tout est dans la nuance, que chacun pourra apprécier et investiguer à sa guise au gré des stands de boissons où Monster s’affiche partout. C’est ce que l’on appelle du « placement de produit ». Côté alimentation, la plupart des artistes programmés s’affirment, pour des raisons diverses, végétariens ou végétaliens comme nombre de leurs fans. Or pour le public, les stands festivaliers sont à la viande ou au Fish and Ships. Des aménagements de variétés de régimes alimentaires censés plus sains et végétariens ne sont-ils pas ainsi souhaitables pour d’éventuelles futures éditions ?
Exodus (Etats-Unis). Festival Biubstock
Poids des mots et choc des poses
En poursuivant inlassablement son combat labellisé « anarchiste et anticapitaliste » (marque alternative déposée) contre les dérives des sociétés ultralibérales, notre Dario Fo déjanté du punk rock n’a pas oublié qu’il fut l’unedes figures étendard du combat anti-Reagan dans les années 80. Le chanteur et activiste de San Francisco né en1958 s’est fait un nom à la tête des Dead Kennedys, sorte de décalque californien des Sex Pistols, la conscience politique et sociale en sus. Après avoir lâché ce groupe mythique, l’artiste a multiplié les productions discographiques satiriques, les conférences et interventions provocatrices avant de revenir en 2009 dans une formation au nom décalé évocateur des exactions américaines contre les droits humains se poursuivant sous le 44e Président des Etats-Unis, Barack Obama, Jello Biafra and the Guantanamo School of Medicine.
L’art du combo est d’aligner les titres en autant de décharges plus parlé chantées en « spoken words » par la voix à la fois charnue et fuselée de Jello Biaffra. En sa tessiture, elle rapatrie le parfum de déglingue et la dimension parfois un brin chevrotante de Cid Vicious (Sex Pistols). Voici un punk rock ultravitaminé d’un autre âge, enfiévré, moulinant des riffs véloces à une rythmique emballée comme en guerre de tranchées.
Sur le plateau de la patinoire des Vernets, l’activiste punk ne manque ni de pitreries scéniques ni d’inventivité morbide. En témoigne ce geste de prélude à un suicide tant de civilisation que personnel, maintes fois repris dans se prestions concertantes depuis ses débuts, l’index posé sur la tempe comme le canon d’un pistolet formé par la paume de la main. Ces chansons de gestes donnent néanmoins l’impression d’une redite relativement à ses nombreuses prestations concertantes depuis les années 80. Ainsi en va-t-il aussi à l’écoute des enregistrements de ses discours, satires politiques, interviews à la radio ou conférence à l’Université entre autres sur la censure. Henry Rollins, Lydia Lunch parmi d’autres suivront la voie ouverte par ce dit performatif, politique et punk rock. Biafra a tout du clown histrion passant ses personnages à coup de géométrie corporelle expressionniste et outrancière.
Il semble d’ailleurs s’être inspiré, un temps, de la version maléfique de Ronald Mac Donald, le pantin fétiche au nez rouge et habit grotesque de la multinationale, que Stephan King, le célèbre auteur de fantastique gore avait transformé en monstrueux tueur en série pour son récit, Ça avant que le dramaturge argentin Rodrigo Garcia ne s’en empare pour dessiner les contours d’une figure théâtrale dans L’Histoire de Ronald le clown de chez Mc Donald’s, 2003. On y lit ce que Jello Biafra apprécierait au chapitre fuseaux horaires de la mondialisation et interrogation des rapports de forces Nord-Sud : « Si tu as neuf ans et que tu vis à Lisbonne, tu vas au Mc Donald’s le dimanche. Si tu as neuf ans et que tu vis à Cuba, tu vas sucer la bite d’un touriste italien. Si tu as neuf ans et que tu vis à Bruxelles, tu vas au Mc Donald’s le dimanche. Si tu vis en Bolivie, tu vas à la mine pour les Américains. Si tu as neuf ans et que tu vis à Florence, tu vas au Mc Donald’s le dimanche. Si tu vis en Afrique, tu couds des ballons pour Nike. Si tu as neuf ans et que tu vis à New York, tu vas au Mc Donald’s le dimanche. Si tu as neuf ans et que tu vis en Thaïlande, tu dois te laisser enculer par un Australien. Après, deux avions se paient deux gratte-ciel et les gens s’étonnent. » Une réalité dont témoigne plus sobrement l’écrivain transalpin Erri De Luca : « Notre monde repose sur les épaules de l’autre. Sur des enfants au travail, sur des plantations et des matières premières payées bon marché : des épaules inconnues portent notre poids, obèse de disproportion de richesses. » (Sur la trace de Nives).
Jello Biafra a souvent combattu le système bardé d’un esprit potache que ne renierait pas George Hurchalla, spécialiste de l’univers underground américain des années 1979 à 1992 : « Je pense qu’il y avait beaucoup d’intelligence dans le punk rock, mais il y a avait aussi un facteur simplement fun, ridicule et idiot, qui n’avait pas trop de signification ; et c’était mon bruit. Le son que j’aimais. »