« De quoi demain sera-t-il fait ? » c’est une interrogation de Victor Hugo que je voudrais m’approprier afin de scruter l’horizon des conditions matérielles de la création artistique dans le canton de Genève.
En tant qu’artistes il y a des questions qui nous taraudent car elles touchent en quelque sorte l’avenir de toute une série de métiers des arts vivants. Je pense particulièrement aux scénographes, aux costumiers, aux maquilleurs et tant autres qui s’effacent imperceptiblement vu les conditions et l’état auxquelles est soumise la production d’un spectacle en ville de Genève avec les modifications induites par la loi sur la répartition des tâches (LRT A 2 04). Oui, nous entrons dans une zone d’incertitudes peuplée d’une multitude d’interrogations sur les applications et les conséquences de cette loi sur nos activités artistiques.
Nous assistons à l’effondrement des conditions de production d’une création en ville de Genève. Comment ? Les temps de répétitions sont réduits à peau de chagrin par les restrictions qui nous devons réaliser dans les plans de financement des nos productions, une série de collaborations supprimées, donc de pertes d’emplois, (décors, costumes, communications etc).
Les spectacles ainsi produits finissent par fragiliser économiquement et artistiquement les artistes, et de mon point de vue, chose encore plus grave, en rabotant la qualité des spectacles, se produise ainsi une situation qui fait tort au public.
Ces effets qui commencent à se manifester sont les premiers symptômes d’une stratégie politique ou mieux d’un projet sociétal qui tente de se faire chemin dans les institutions du canton et de la ville de Genève.
Nous vivons dans un régime économique global, capitaliste, qui dans sa forme actuelle revêt les costumes du néo libéralisme, avec une conception de la société, de la culture et de la création artistique déterminée par les liens commerciaux, par la rentabilité et par l’inoculation de valeurs telles la concurrence, le prestige, le langage du management et la vielle formule libérale : tous libres, les uns contre les autres, que le plus fort gagne, quand ils ne nous font croire que ce sera le plus doué !
Ce système politique est en crise institutionnelle, en crise de représentation, un peu partout, une crise que selon l’avis des spécialistes est sans restauration possible. Mais nous faisons les sourdes oreilles et chacun dans sa bulle attend la fin … de la crise… de la dette… notre propre fin en tant qu’artistes.
Mais revenons sur notre cher terroir genevois.
Toutes sortes de rumeurs et d’informations circulent sur les fonds transférés par le canton à la ville de Genève, sur la quantité d’argent que la ville devra gérer, mais nous n’arrivons pas encore à connaître précisément les montants, nous ne comprenons pas clairement comment l’argent du canton sera géré par la ville et si cet argent appartient désormais à la ville ou s’il y a des contraintes administratives, pour son utilisation.
Nous ne savons pas comment le canton va déterminer dans les années à venir la quantité d’argent qui sera transférée à la ville. Sera une décision politique ou simplement administrative ?
Nous ne savons pour combien de temps ces fonds provenant du canton seront maintenus et dans quelle quantité.
Ce manque de transparence et d’information obscurcit singulièrement les enjeux, et surtout empêche la mobilisation des acteurs culturels, qui de toute façon n’est jamais allée de soi.
Pour exorciser un certain pessimisme qui peut m’accompagner moi et d’autres acteurs culturels, il faut que nous mettions nos contradictions artistiques et esthétiques (celles qui conditionnent et fondent nos manières de produire et de créer) à la lumière du jour.
Il faut que les nouveaux directeurs d’institutions se manifestent clairement sur les conséquences de cette loi en faisant abstraction au moins pour une fois de leurs intérêts particuliers en tant qu’institutions.
Car il faut être conscients de la violence qui arrive quand les politiques culturelles commence à nous répéter la vieille rengaine du capitalisme, celle qui nous parle de rationalisation, de régulation, et que nous savons pertinemment qu’elle a comme conséquence la disparition de tous ceux qui n’entrent pas dans la logique du marché, de la rentabilité, du profits, du succès et j’en passe.
C’est à nous, par conséquent, d’inventer des solutions qui nous donnent la possibilité d’infléchir et/ou de participer dans les décisions politiques qui concernent la culture à Genève.
Il faut, sans oublier le tissu et les racines du mouvement de la culture associative, tellement puissant en ville de Genève, dégager des perspectives d’avenir.
Je trouve urgent d’ouvrir un espace de réflexion et de confrontation, entre les diverses branches et acteurs culturels afin de tenter d’infléchir, avec d’autres acteurs de la société cette tendance paradoxale de la politique néolibérale de faire une dérégulation sauvage et en même temps accroitre la demandes des contrôles financier, d’audits, l’invention des indicateurs économiques et sociaux, dont nous savons pertinemment, qu’ils ont pour effet la restriction des nos capacités à faire, à inventer et à créer.
Ces indicateurs fonctionnent comme des frontières qui tracent les limites à ne pas dépasser et déterminent d’une certaine façon les types de propositions culturelles à faire, mêmes les esthétiques à développer car ils désignent celles qui auront des « retombes économiques » importantes, leur donnant ainsi une raison d’être économique vis à vis des pouvoirs politiques subventionneurs.
Nous devons nous positionner vis à vis de cette perspective, ou ce choix sociétal, sur la manière dont se fait la redistribution des richesses à l’intérieur d’une société : est- elle déterminée par des rendements économiques, et alors si c’est le cas, sommes- nous d’accord avec la privatisation de l’école, de la santé, de la création artistique et autres, mais si nous pensons diversement, notre combat doit exister pour faire reconnaître la valeur de la création, dans la société, dégagée des impératifs d’ordre économique ou mieux encore non déterminés par des liens mercantiles.
Or, pour des raisons d’efficacité de type économique, les pouvoir publics et plus précisément la République de Genève s’invente une loi de transfert des charges qui, à moyen et à long terme, jusqu’à preuve du contraire, fera disparaître au sein du canton toute politique d’appui et d’encouragement à la création artistique et culturelle et bien sûr avec elle un grand nombre d’artistes.
Le comble de tout, est que le canton venait de se donner une loi pour la culture inscrit dans sa nouvelle constitution.
C’est pourquoi il est regrettable que dans telle situation il n’y a pas plus de mobilisation des acteurs et créateurs genevois sur les implications de la LRT.
Nous devons nous mobiliser, nous réveiller, laisser de coté notre petit intérêt personnel, nos considérations formelles et calculatrices sur les institutions qui gèrent ou qui géraient la culture au canton afin d’affronter la question des rapports de pouvoir entre le canton et les communes qui sûrement vont déterminer notre manière d’exister en tant qu’artistes. Qui vont déterminer l’avenir de la culture associative genevoise, cette culture qui à fait de cette ville une cité tellement particulière, créative et solidaire.
Il nous faut un engagement collectif. Plus encore, repenser le collectif chose difficile dans une société atomisée et individualisée où nous ne sommes plus sujets actifs, mais tout simplement assujettis à la société de consommation et de divertissement.
Nous ne pouvons pas faire table rase du passé, de la diversité culturelle genevoise ; nous devons tirer profit de toutes ces expériences afin de confronter et trouver des formes nouvelles de mobilisations afin de protéger nos droits à êtres créatifs, à avoir une lecture critique de temps modernes et trouver ainsi une vrai place en tant que citoyens de cette ville.
La LRT est une étape d’une stratégie et d’un projet de société face auquel nous devons nous positionner les yeux grands ouverts.
Gabriel Alvarez
directeur artistique du Studio d’Action théâtrale.
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