Danse et philosophie en actes

© Marie Jeanson

« Ifeel2 » fait d’un duo chorégraphique réunissant le chorégraphe et danseur Marco Berrettini et la danseuse Marie-Caroline Hominal, une exploration ludique et exigeante. Entretien avec Marco Berrettini, chorégraphe et danseur.

 

Bertrand Tappolet: Parlez-nous du titre en référence notamment à Peter Sloterdijk, dont le livre Tu dois changer ta vie ! alimente pour sa réflexion, ifeel2 ?

Marco Berrettini : Le livre est, à mes yeux, une empreinte de la pensée gnostique qui avance que l’on doit alimenter une colère par des actes visant à l’amélioration de soi. Sloterdijk est proche de Nietzsche dans la mise en œuvre de ses propres pensées et envies chez l’individu, liées à l’amélioration de l’être et de ses relations sociales. Tu dois changer ta vie ! favorise une forme d’introspection que l’on peut passer les yeux dans les yeux, à l’image des danseurs sur le plateau.

B. T. : Dans l’ambitieuse synthèse des « Sphères », Sloterdijk montrait l’homme affairé à s’enclore, à habiter sous un dôme qui amortisse les bruits et les violences du monde ; la climatisation, la réflexivité d’un espace miroir. Vous semblez ici déployer, explorer « la réflexivité d’un espace miroir ».

M. B. : Le terme de « biotope » est pertinent pour la scénographie imaginée ici. La réflexion initiale sur la sélection naturelle, le darwinisme, le créationnisme m’ont amené à diriger la pièce vers la dimension de la mutation. Sur scène une forme de mutations se réfléchit dans l’autre. Il y a toute une linéarité frappante dans le darwinisme et le créationnisme que prolongent les trajectoires souvent rectilignes du duo d’interprètes. Sous le terme de régression, Sloterdijk fait cohabiter sous un dôme plusieurs formes de vie qui sont égales.

B. T. : Comment se déroule cette création ?

M. B. : Avec Marie-Caroline Hominal, nous avons développé tout un jeu en miroirs où un corps et ses mouvements se reflètent dans l’autre. Il n’existe ainsi qu’seul moyen de s’améliorer, c’est littéralement d’agir ensemble, en se regardant les yeux dans les yeux. L’introduction d’un troisième personnage signifie qu’il y a des mutations, excroissances dont on ne sait ce qu’elles vont donner. Il n’y a pas ainsi au final une séparation claire entre une figure dansée qui incarnerait les thèses créationnistes et l’autre les visées darwinistes, comme annoncé dans le programme. La création a fait ainsi retour à Sloterdijk relevant  que la seule vérité est dans l’amélioration qui ne se retrouve pas nécessairement dans une sélection naturelle. Mais veut simplement dire que le sujet dansant en tant qu’être humain a l’impression d’avancer. Et que notre courte vie est déjà un exploit.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

Ifeel2. chorégraphie Marco Berrettini. Arsenic. Lausanne. du ve 31 mai au di 2 juin 2013

Article paru le 10 novembre 2012

Lire également : L’accord parfait de deux êtres sur scène, par Bertrand Tappolet.

Ifeel2, ADC, Salle des Eaux-Vives, Genève. 
Jusqu’au 11 novembre 2012.

Site de Marie-Caroline Hominal

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