Climax Redvx: De l’orgasme tellurique à  l’apocalypse

Climax, pièce

Climax Redvx,  au premier plan: Allan McCollum The Dog from Pompei (détails en bas de page)

Eveline Notter, commissaire de l’exposition CLIMAX REDVX, au Bâtiment d’art contemporain de Genève, propose un parcours atypique à  travers les bouleversements telluriques et climatiques extrêmes. Rares sont les expositions thématiques qui se tiennent aussi bien.

De Pompéi à  Aceh, en passant par Lisbonne, les orgasmes telluriques et autres grandes catastrophes naturelles n’ont cessé d’effrayer autant que de fasciner les artistes qui trouvent dans ces phénomènes matière à  approcher les forces de la nature à  leur paroxysme.

Eveline Notter a conçu Climax Redvx (Climax comme point culminant d’une tension, et Redvx – retour – pour rappeler une première programmation vidéo à  la Fondation Louis-Jeantet) en se demandant “comment évoquer le climat et les phénomènes naturels extrêmes dont les médias ne cessent de parler. A mon avis la société anxiogène dans laquelle nous vivons exploite les catastrophes naturelles avec une fascination morbide. Aussi, ai-je cherché des oeuvres en rapport avec les phénomènes naturels extrêmes, mais pas dans un but pédagogique. J’ai d’ailleurs choisi des artistes ne travaillant pas de manière consciente sur ce sujet. J’ai en outre tâché de créer une sorte de gradation dans le parcours du spectateur. L’accrochage des travaux sélectionnés crée – je l’espère – une atmosphère particulière, comme s’il s’agissait d’une séquence filmique : il y a un début, une progression, avec des choix formels et chromatiques très précis, des échos afin de suggérer  un parcours avec des pistes de lecture, mais sans jamais aborder la question des phénomènes naturels de manière frontale.’

“Si seulement tous les gens qui visitent les musées pouvaient ressentir un tremblement de terre !”

Les conséquences des changements climatiques, alliées aux prévisions pessimistes des scientifiques, sont autant d’indicateurs qui incitent à  imaginer la montée en puissance de ces phénomènes jusqu’à  une apocalypse à  laquelle l’humanité semble s’être résignée puisque tout effort pour l’enrayer lui paraît insurmontable.

Les catastrophes sont-elles des oeuvres d’art ? Certains artistes l’affirment, comme Walter de Maria : “Les catastrophes naturelles sont probablement la forme d’art la plus aboutie qu’il soit possible d’expérimenter. Si seulement tous les gens qui visitent les musées pouvaient ressentir un tremblement de terre !” A la manière de Gianni Motti qui a signé plusieurs catastrophes naturelles, ou les fissures, cassures et déchirures de l’artiste bernois Ueli Berger (1937-2008) représentent l’un des thèmes centraux de son à“uvre.
Lors de l’ouverture et vingt minutes avant la fermeture de l’exposition au Bâtiment d’art contemporain le visiteur pourra expérimenter la sensation d’éléments déchaînés sous le choc du concert d’orgue de Trisha Donnelly qui a collaboré avec un organiste et obtenu que ce dernier modifie les sons produits par l’ensemble des tuyaux que comporte son instrument. Au plus haut niveau de leur collaboration, l’artiste a secrètement enregistré une session improvisée d’une vingtaine de minutes. Evoquant autant la musique religieuse que les films de science-fiction, cette pièce sonore débute comme un prélude discordant mystérieux qui devient ensuite successivement mélancolique et extatique.
L’expérience est à  vivre en montant l’austère escalier de fer qui conduit à  la première immersion dans un champ fraîchement labouré qu’Eveline Notter a ainsi placé pour rappeler l’importance de la terre comme point de départ, mais cette terre labourée  a subi l’intervention de l’homme et garde son empreinte.
‘Dans chacune des pièces exposées, il y a une présence assez ténue, mais néanmoins systématique de l’homme, de son intervention. En témoigne le  parcours qu’offrent les sculptures de Mathieu Mercier dans un style néo-minimal à  la manière des pas japonais qui façonnent un parcours de promenade ou encore les photographies  de longues marches en peaux de phoques de Thomas Flechtner dans la nuit avec un simple éclairage frontal dont on ne distingue plus la silhouette, mais simplement l’empreinte lumineuse que l’artiste a laissée’.
La vidéo de Missika représente trois tempêtes de neige différentes, avec une bande son qu’il a lui-même réalisée de manière artificielle, s’inscrit toujours dans la notion de nature façonnée par l’homme.

Le rythme s’accélère ensuite avec les pièces qui plongent le spectateur dans les circonstances extrêmes comme la marche de l’artiste Guido van der Werve devant un brise-glace ou la série du Chien de Pompéi d’Allan McCollum, qui  évoque le souvenir d’une catastrophe qui hante notre mémoire collective.

L’homme, toujours obsédé par sa volonté de maîtrise de la nature, a longtemps considéré les catastrophes comme injustes, il préfère oeuvrer consciemment à  sa propre destruction, la sculpture suspendue de Pierre Vadi, toute de résine fragile, est là  pour lui rappeler la fragilité de son existence.

J.M.

oeuvre

Didier Marcel Sans titre (Labours) est un rectangle de résine reprenant à  la perfection le motif d’une terre labourée. Cette fausse parcelle de terre est un territoire vierge, l’image ou le rêve d’une terra incognita, un morceau de bout du monde extrait d’un site qui n’existe sur aucune carte. Cette vision voyageuse est accentuée par la manière dont l’oeuvre est accrochée : présentée au mur à  la verticale, et non pas à  plat au sol, cette oeuvre perd de son réalisme pour gagner en abstraction, perd de son côté terrestre pour gagner en utopie romantique, quitte le plancher des vaches pour rejoindre l’universel chaos.

 

oeuvre

Songs from Liquid Days, de Pierre Vadi, est une sculpture en forme de tronçonneuse, suspendue dans l’espace d’exposition. Son état de suspension – renforcé par l’orientation verticale de l’objet, lame pointée vers le sol, telle l’épée de Damoclès – nous rappelle, sur le mode du memento mori, la fragilité de l’existence.

 

CLIMAX REDVX,  Commissaire : Eveline Notter. Du 6 mars au 25 avril 2010.
BAC, Bâtiment d’art contemporain, rue des Bains, Genève.
voir aussi : climax curating.ch

Artistes: Darren ALMOND (UK, 1971) ; Ueli BERGER (CH, 1937-2008); Trisha DONNELLY (USA, 1974), Thomas FLECHTNER (CH, 1961), Geert GOIRIS (BE, 1971), Joachim KOESTER (DK, 1962), Sarah LIS (FRA/CH, 1983), Allan MCCOLLUM (US, 1944), Didier MARCEL (FR, 1961), Mathieu MERCIER (FR, 1970), Adrien MISSIKA (FR/CH, 1981), Philippe RAHM (CH/FR, 1967), Pierre VADI (CH, 1966), Guido VAN DER WERVE (NL, 1977).

Légendes des oeuvres ci-dessus:

Didier Marcel. Sans titre (Labours), 2006. Résine acrylique (Acrystal) colorée, 52 x 200 x 300 cm. Courtesy Musée d’Art moderne et contemporain de la Ville de Strasbourg.

Pierre Vadi,  Songs from Liquid Days, 2003. Sculpture en résine polyester transparente. 50.8 x 28 x 23 cm. Courtesy galerie Evergreene, Genève.

Allan McCollum. The Dog From Pompei, 1991. Moulage en fibre de verre renforcée. 53 x 53 x 53 cm. Courtesy Galerie Thomas Schulte, Berlin.
Photographies © Sandra Pointet
pour la pièce sonore : Trisha Donnelly, Untitled, 2005, Installation sonore 20 minutes, Courtesy Air de Paris, Paris; Casey Kaplan, New York; Galerie Eva Presenhuber, Zurich.

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