Michel Franco.
Le film de Michel Franco, Après Lucia, repose notamment sur la révélation d’une sextape réalisée grâce à un smartphone avec son consentement par la protagoniste principale du film, Alejandra et postée sur le net. Entretien.
Michel Franco a étudié la mise en scène à la New York Film Academy. Il réalise à ses débuts des films publicitaires au sein de sa société Pop Films. Sa production filmique s’initie par des court-métrages, parmi lesquels Entre Dos. En 2009, son premier long-métrage Daniel y Ana est sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Basé sur un kidnapping d’un frère et sa soeur, adolescents forcés d’avoir des relations incestueuses enregistrées par une caméra, comme levier de chantage, la réalisation marque déjà par ses dialogues minimalistes et le refus de toute explication psychologique, Les protagonistes sont souvent filmés de loin et de dos. La distance n’exclut nulle empathie du réalisateur pour ses héros broyés par la honte, incapables de révéler leur secret à leur famille. En 2012, Después de Lucía est présenté dans la section Un certain regard du festival de Cannes dont le film remporte la distinction suprême.
Entretien avec Michel Franco.
Après Lucia repose sur notamment sur la révélation d’une sextape réalisée grâce à un smartphone avec son consentement par la protagoniste principale du film, Alejandra et postée sur le net. C’est l’élément déclencheur d’une incroyable suite d’humiliations et de déchéances subies par la jeune fille Est-ce que ce type de pratique de vidéo amateur à contenu pornographique incluant des adolescents une question centrale dans une société mexicaine restée largement traditionaliste voire encore profondément catholique ?
Michel Franco : La pornographie est une question importante un peu partout dans le monde, internet étant majoritairement convoqué et utilisé pour ses contenus et sites X. Néanmoins cette réalité est rarement discutée, critiquée ou mise en perspective au sein de la société et au cinéma. Par devers nous ou selon notre volonté, nous regardons souvent des images pornographiques et y sommes profondément reliés. De cette intimité traduite dans certaines vidéos amateurs, le problème soulevé est celui d’une « extimité », de la circulation quasi instantanée de ses images et de la difficulté aussi à les effacer non seulement de la toile mais des mémoires.
Le problème de l’histoire n’est pas à proprement parler la vidéo sexuelle en elle-même, tant la jeune fille se révèle assez forte pour surmonter tant sa réalité que sa diffusion. C’est la manière dont elle est reçue, exploitée, commentée et détournée autour d’elle, dans un milieu social où la vie intime est paradoxalement relativement secrète et l’objet de nombre de règles et non-dits particulièrement contraignants. La vidéo n’est qu’un prétexte, un support périphérique au ressentiment du groupe envers Alejandra qui colonisée par le honte et le dégoût n’avouera rien à personne. Il y a aussi la jalousie exprimée comme un pison par les filles jalouses de la beauté et de la grâce de leur victime émissaire. Cette dernière devient aussi un objet de convoitise et de concurrence machiste entre les garçons qui veulent se prouver mutuellement leur statut d’homme viril en la possédant jusqu’à en faire sans en être conscient une martyre.
L’héroïne développe tout au long du film plusieurs formes de résistance. Celle-ci se traduit parfois par un engagement de son corps dans un début de bagarre. Ainsi la scène où un adolescent lui enlève du doigt la bague de sa mère défunte pour la mettre dans son slip, la forçant à venir la chercher près de ses parties intimes. Cette situation humiliante provoque l’ire et la révolte physique d’Alejandra qui contre-attaque.
Assurément. Elle lutte et résiste autant qu’elle peut. Au début elle combat autant qu’elle peut, notamment dans l’épisode qui la voit se faire mettre à terre par deux filles de sa classe afin de lui couper de force les cheveux. Ce n’est que très progressivement que es résistances psychiques et physiques sont ébranlées puis qu’elle est finalement instrumentalisée devenant un objet que des membres du groupe d’adolescents peut littéralement séquestrer, manipuler et humilier à leur guise.
Il ne faut pas oublier que cet être désorienté est seul au monde. Sa mère est morte et son père ne fait pas montre de suffisamment d’attention envers elle. Elle doit d’ailleurs s’en occuper comme une sorte de gros bébé souvent prostré et se substitue parfois à la figure maternelle en le guidant. Peut-être son erreur est-elle de céder afin qu’on l’oublie. Elle est néanmoins loin d’être aussi faible qu’un premier regard pourrait le laisser croire. Elle enseigne à un assistant de son père alors que ce dernier a démissionné de son poste de chef cuisinier. Sportive, excellente nageuse, comme le révèle l’unique travelling du film, ses qualités tant physiques que psychiques contribueront à sa survie.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Bertrand Tappolet. 23 novembre 2012.
Filmar en America Latina. Genève.