Billy the Kid et Pat Garrett : Ennemis intimes à  l’Arsenic

Scène

Poèmes du Gaucher. Théâtre de l’Arsenic. Photo Yves Kropft.

Alors que le XIXe siècle américain vit ses derniers feux, Poèmes du gaucher confronte deux figures légendaires : Billy the Kid et Pat Garrett. Une création entre témoignages et slam à  découvrir jusqu’au 2 novembre au Théâtre de l’Arsenic. C’est une pièce de mort, de fantômes, de mythes. En ce XIXe siècle finissant, l’Amérique apparaît hallucinée, à  la fois monde barbare d’avant les origines et terre désolée après l’apocalypse. Après avoir tué une vingtaine de personnes, Billy the Kid (Frank Arnaudon), le hors-la-loi, figure rimbaldienne avec des planètes sanglantes tournant dans son esprit tourmenté, est abattu à  l’âge de 21 ans par Pat Garret (Pascal Berney), selon une version parmi d’autres. Au hasard des circonstances, Garret se mue en shérif mercenaire au service de propriétaires terriens enlisés dans une guerre du bétail.

Entretien avec la metteur en scène et le comédien Pascal Berney. Par Bertrand Tappolet.

Face au mythe
La metteur en scène Liliane Hodel s’est emparée du texte du Canadien Michael Ondaatje (Billy the Kid, oeuvres complètes), une biographie collage, calligramme en forme de recherche archéologique autour d’une image manquante entre l’homme et son mythe : « Non pas une histoire à  mon sujet vue par leurs yeux. Trouver le début, la petite clé en argent pour la débloquer, la déterrer. Voici un labyrinthe pour commencer, pour se perdre » L’auteur y va par bribe, délicatement, il dévoile des petits morceaux ici et là . Il y a un aura de mystère qui donne énormément de profondeur au récit. Le plus lucide est ici Garret : « si j’avais l’esprit d’un reporter je dirais eh bien que certaines valeurs morales sont physiques doivent être claires et précises comme le diagramme d’une montre ou une étoile », lâche-t-il. Et c’est avec la précision d’un chirurgien qu’il incise dans la chair d’une orange alors que Billy fait le portrait d’un homme ravagé par l’alcool. Garret conjugue un détachement d’entomologiste dans l’exécution de ces mortels contrats à  une cruauté hors norme, comme le dévoile l’épisode d’une meute de chiens qu’il affame jusqu’à  l’os.

Des postulations de récits maintes fois illustrées sur grand écran (Arthur Penn, Sam Peckinpah), le montage dramaturgique et la mise en scène se distancient afin de signer une suite de séquences très cinématographiques, tour à  tour stylisées et poétiques. Toutes tentent de prendre la mesure du mythe et de la réalité de deux êtres qui ne se laissent pas si aisément révéler. Un trio de slammeuses incarne le chà“ur contemporain, commentant avec un grand sens de l’épure musicale les auras légendaires attachées à  ces ennemis intimes. Retour à  la poésie antique et art de la performance oratoire originellement mené a cappella, le slam plonge ses racines dans la parlerie exubérante du tall tale de l’Amérique XIXe siècle. Celle des westerns, mais aussi du cirque Barnum, des fêtes foraines et ses bonimenteurs. Une Amérique rusée et tragique pour laquelle des écrivains tels Burroughs ou Shepard ont su préserver une affection profonde.

Comment exister hors de sa légende ? Plusieurs plateformes en bois mal équarri, un lit, une baignoire en fonte. Quelques balises afin de faire surgir plusieurs espaces autant liés à  la mémoire qu’a un récit à  plusieurs voix, croisant les regards sur un réel toujours insalissable. Entre silences et ellipses, le spectacle nous emmène dans un western qui n’en est pas un. Alternant voix off amplifiées et phrases échangées sur le vif, ces fragments signalent que le monde capté reconstitue un autre univers, de type symbolique, spirituel, ritualisé comme le duel en forme de danse circulaire, qui se dévoile dans une géographie d’ombres. Chacun utilise ainsi l’autre comme une sorte de miroir pour voir comment lui va son identité d’emprunt.

Bertrand Tappolet

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