Avec “Antilopes” Lorenzo Malaguerra aborde les nombreux visages de l’aide humanitaire.

Caroline Cons et François Nadin dans “Antilopes”, Théâtre de l’Orangerie, juillet 2007.

Romancier internationalement connu pour son à“uvre policière et dramaturge suédois, Henning Mankell aborde dans « Antilopes », l’action des Blancs dans le domaine de l’aide humanitaire internationale et leur incompréhension de l’Afrique. « Antilopes », c’est une théâtralité hybride, entre le réalisme et le fantastique.

Entretien avec le metteur en scène Lorenzo Malaguerra
Durée 1ère partie : 20 minutes


Durée 2e partie : 28 minutes

Un huis clos étouffant qui traite d’un enfermement provenant de l’exil et de la peur de l’étranger. Un enfermement qui génère de la violence et une dérive vers la folie. « Antilopes »s met en jeu un couple de Suédois, partis travailler en Afrique pour le compte de la Banque mondiale. Leur maison, ultra-sécurisée par crainte de l’agression, se transforme en prison.

Avec ses flottements proches de l’absurde (Bergman), la pièce a toutes les teintes d’un cauchemar confinant à  la folie (« une illusion d’optique délibérée », dit Mankell). Une danse de mort, pour faire retour à  Strindberg, une peinture de mà“urs satirique à  la Courteline ou bien une attente démesurée et grotesque à  la Beckett. On imagine les deux humanitaire arrivés avec de bonnes intentions, comme dans la comédie romantique de Sydney Pollak, Souvenirs d’Afrique (Out of Africa). Mais rien n’a marché, donc ils se sont repliés, ils sont devenus paranoïaques, ils ont peur parce qu’il y a eu des émeutes. Ils ont peur d’être attaqués, ils barricadent leurs portes, les fenêtres, et finalement c’est comme une sorte d’Afrique fantasmée qu’on entend émaner d’eux. Ils ne réussissent pas à  se parler directement. Et les choses sortent, incertaines. On croit apprendre ce qui s’est passé, leur déroute, les dérapages. Mais la part de vérité et celle du mensonge semblent bien difficile à  démêler de ce nà“ud de contradictions qu’est un couple à  la dérive.

Sous une lumière poisseuse, des vagues de tourbe rappelant le bush africain viennent s’échouer aux pieds des spectateurs. à€ leur lisière, des figurines d’animaux de la savane, comme celles que l’on rapporte d’un périple africain. Portes corrodées par la rouille et rythme lancinant, obsédant, des grenouilles complètent le paysage de cette Afrique fantôme. Tout en disputes et réconciliations éclairs, un couple se déchire à  la veille de son départ d’Afrique. Elle (Caroline Cons, la folie aux trousses et la désillusion alcoolisée faites femme) enrage sur les zones d’ombres, les gouffres intimes de son mari. Celui-ci incarné par un François Nadin, le corps malade, traversé de convulsions, incapable de supporter le contact du moindre vêtement, mangé de l’intérieur par les vers. Et, finalement ensanglanté, voire énuclé par sa conjointe.

A la fois bunker, sanctuaire et catafalque, leur demeure est gangrénée par la corrosion, le mal-être et le paludisme de l’échec qui enfièvre les esprits avant d’effondrer les corps. Il y a aussi l’arrivée du remplaçant, Lundin (Roberto Molo marqué dans sa chair et veule), qui arrive habillé comme un ancien officier tout droit surgi de la période coloniale, bermuda et saharienne façon Armée des Indes ou « Tintin au Congo ». Tout équipé comme un bon naïf, qui arrive pour sauver l’humanité, un ancien découvreur de l’Afrique. Cette caricature, cette peinture anachronique du Blanc colonialiste et décalé illustre bien le point de vue de Mankell sur un des nombreux visages de l’aide humanitaire internationale.

« Ténèbres » et « Antilopes » de Henning Mankell ont été publiées conjointement. Ne sont-elles pas les deux versants du gouffre qui sépare l’Afrique de l’Europe, deux récits pour une même violence ? Dans les deux cas, l’extérieur, menaçant, n’est jamais visible, seulement perçu de manière sonore, comme un danger. Pour Antilopes, l’auteur va même jusqu’à  nous prévenir que les personnages principaux de la pièce sont les Africains, mais qu’on ne les voit pas, tous les fantasmes de peur sont donc possibles. « Les aidons-nous à  vivre ou les aidons-nous à  mourir? » La question ne cesse de troubler la surface des êtres jusqu’à  les faire presque imploser.
Antilopes. Pièce créée au Théâtre de l’Orangerie en juillet 2007.

Antilopes et Ténèbres. Textes publiés aux Editions de l’Arche, 2005.

 

 

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