Arles : L’Amérique fantôme

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Du livre “The Blue Room” (La Chambre Bleue), Sud de Laramie, Wyoming 2005. Eugene Richards

Photojournaliste réputé, l’Américain Eugene Richards a parcouru les vastes plaines de l’ouest des États-Unis pendant trois ans et demi. Au détour de la série La Chambre bleue, il montre des photos de maisons délaissées, en état de décrépitude avancée, perdues dans des lieux écartés de toute vie. Et pourtant c’est un humanisme qui sourd derrière ces vues désolées, les souvenirs composent un étrange ballet, une réflexion sur le caractère éphémère, fragile de toute existence.

Entretien avec Gabriel Bauret, Commissaire de l’exposition « The Bleu Room » et « Book Montages » de l’Américain Eugene Richards

Moins la théâtralisation que lien avec l’histoire de la peinture semble affleurer de certaines images. Richards eut un mentor qui, tôt, a essayé de l’amener vers la nature morte. Ainsi une vue représente-t-elle un savon entouré de cafards dans un lavabo. Se révèle une dimension liée aux peinture des vanités, au genre de la nature morte De cette méditation sur le temps qui passe et sur la mémoire transfigurée comme à  l’encre pastel de la mélancolie se dégagent de troubles résonnances en ces temps de crise économique. Avec un nombre toujours croissant d’Américains jetés à  la rue. Un regard poignant sur des sujets universaux : la trace des hommes, l’abandon et le changement. « Le rôle du photographe ne consiste pas ici à  changer le monde. Néanmoins avec énergie, il essaye « d’être avec » son sujet, de corriger les injustices en apaisant la douleur. Sa photographie est ainsi prise dans un mouvement compassionnel », ajoute Bauret.

Composition fissurée
Au plan de la composition, souvent quelque chose qui manque ou est brisé dans l’image. Témoin, cette photo représentant un croisement jeté en pleine nature au milieu de nulle part, et que traverse un éclair orageux ou la fracture inscrite dans un pare-brise fendu et qui constituent la dynamique même de son travail. A l’en croire, Richards accepte ces failles et compose avec l’accident, et d’abord avec la réalité telle qu’elle est. Dans la photo de couverture, comme une vieille carte postale froissée, on tracer un parallèle avec le travail de Walker Evans « Let Us Now Pray Famous Men », qui photographiait dans leurs habitats de fortune le quotidien des métayers du sud des USA. « Elle évoque la Farm Security Administration, commande à  laquelle Evans a collaboré. Il demeure un maître pour nombre de photographes, dont Richards qui a publié ce travail en 2008 aux Etats-Unis, au moment où l’on se retrouve dans une situation proche par certains traits de celle de l’après crise de 1929 », explique Gabriel Bauret, le commissaire de l’exposition.
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Du livre “The Blue Room” (La Chambre Bleue), Corinthe, Dakota du Nord, janvier 2006. Eugene Richards

Une autre dimension de son travail est présente sous l’intitulé « Book Montages ». Qui recueille une combinaison entre textes et images et images noir blancs de plusieurs de ces albums (« Cocaine Blue, Cocaine True », « Exploding into Life », « Stepping through the Ashes »). « C’est est un ancien travailleur social passé à  la photographie il y a une trentaine d’années. Il a toujours photographié dans une extrême proximité ces sujets vivant des situations de violence. Que cela soit dans l’univers de la drogue au cà“ur de salles d’urgences hospitalières. Il a aussi réalisé plusieurs livres portant sur la misère. C’est un photographe engagé s’il en est. Il a toujours travaillé en noir et blanc. La nouveauté ici est multiple : le travail en couleur, le fait qu’il n’y ait plus de personnages dans se photographies et qu’il montre le résultat de la misère touchant de petits fermiers américains et non, naturellement, de grandes exploitations. On voit cela à  travers des visions de maisons abandonnées avec parfois des animaux morts qui ont traversées d’une immense tristesse. Il y a un contraste terrible entre des compositions léchées nanties de belles couleurs et de subtiles lumières et un état d’abandon totalement désespérant », souligne François Hébel, Directeur des Rencontres de la photographie.

Bertrand Tappolet

Exposition jusqu’au 13 septembre 2009, Arles
Eugene Richards Richards, The Blue Room, Phaidon, 2008
Charles Bowden, Eugene Richards, Phaidon, 2001

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