Rem Koolhaas veut re-inventer le musée : est-ce la fin des boîtes noires ou blanches?

Fondation Prada Milan, maquette

Unveiling the Prada Foundation. Rem Koolhaas’s project, courtesy OMA/AMO

Le 22 avril 2008, Miuccia Prada et Patrizio Bertelli ont annoncé avoir confié à  l’architecte et urbaniste néerlandais Rem Koolhaas la transformation  d’un site industriel du début du XXe siècle, dans le sud de Milan, en nouveaux espaces pour la Fondation Prada. Le projet doit refléter une approche inhabituelle de la co-existence de l’architecture contemporaine avec la restauration d’un espace historique qui représente l’évolution du développement industriel de Milan qui se poursuit à  ce jour. Les nouveaux espaces de 10 000 m2 s’ajouteront aux 7500 m2 actuels de l’ancienne distillerie. Rem Koolhaas promet “divers environnements spatiaux inhabituels”. Le coût du projet est d’environ 25 millions d’euros (40 millions de francs).

Pour Rem Koolhaas “Il est surprenant que l’expansion inouïe de “l’art system” ait pris place dans un nombre réduit de typologies en ce qui concerne la présentation des arts. Il semble que l’apothéose des arts se déroule dans un répertoire sans cesse plus limité de conditions spatiales : la galerie (blanche, abstraite et neutre), l’espace indusriel (séduisant car son état n’entre pas en conflit avec les intentions de l’artiste), le musée contemporain (une version à  peine camouflée du supermarché) et le purgatoire des foires d’art.
La nouvelle Fondation Prada s’installera aussi dans un ancien bâtiment industriel, mais avec des environnements spatiaux inhabituels. Nous prévoyons d’ajouter trois nouvelles structures qui étendront les possibilités d’aménagement. La nouvelle Fondation se veut une collection d’artefacts qui rencontrent un ensemble de typologies architecturales.
Ce ne sera donc pas le champ des conditions spatiales qui sera étendu, mais aussi le champ des contenus. En dehors des espaces de rassemblement et de performance, les archives de Prada et de Luna Rossa seront mises à  disposition, établissant ainsi une continuité dans l’effort créatif et intellectuel.”

coupe du bâtiment

Germano Celant, le directeur artistique, estime que “la pensée artistique radicale et les raisons historiques de son existence en tant que pensée critique, en 2008, risquent d’être totalement et définitivement annihilées avec leur entrée dans la spirale de la consommation globalisée qui attribue à  la société de vente aux enchères le rôle de fixer les prix.

La singularité d’un certain style d’expression lui permet de se positionner sur un marché mondial où les possibilités d’existence reposent entièrement sur la satisfaction ultime de l’acheteur qui est attiré uniquement par les produits hautement séduisants ou ceux symbolisant un pouvoir d’achat qui définira leur statut social. Simultanément, le déclin de la valeur contestatrice et analytique de l’à“uvre d’art en regard avec la réalité qui privilégie sa valeur marchande la rapproche définitivement de l’univers du design. Ceci conduit à  réduir l’art à  une fonction purement décorative dans un environnement dans lequel il est montré aussi bien que dans l’imagination du pouvoir d’achat.
Cette position mine la nécessité d’existence de l’art en tant que moyen de transcendance des demandes et des désirs du public, le plongeant inévitablement dans un monde de « choses » tentantes, elle peut ostensiblement ou peu réaliste opposer le système de consommation.
Réduite à  la production d’ « objets » et de choses, l’art perd toute autonomie et commence à  entrer dans le monde des « produits » juste comme le Pop Art et Andy Warhol l’ont déjà  anticipé. Une confusion s’installe avec les autres entités industrielles et leurs environnements, ils partagent le même système de promotion, commercialisation et consécration médiatique, en étant classé dans la classe supérieure des matières premières exclusives.

S’il s’agit de ce qui se produit, un examen du processus de production soulève les questions de ses rationalités philosophiques et politiques, son rôle antagoniste, contraire, qui en fait un fétiche qui — s’il n’est pas contraint de s’adapter aux exigences traditionnelles, conservatrices, de consommation généralisée parce qu’il espère élargir ce champ en y introduisant de nouvelles images — ne peut pas éviter de réagir aux impulsions innovatrices de la société industrielle, celles qui le plus grand impact sur le goût du public. Depuis 1990, de telles impulsions ont été associées aux applications pratiques des technologies de la communication basées sur des entités physiques allant de l’appareil photo à  l’enregistreur vidéo et de cinéma, ainsi qie des entités virtuelles de l’ordinateur à  l’internet.

Ces prothèses, que les gens utilisent pour communiquer, sont devenues si visibles dans les sphères sociales et artistiques que toute distinction entre l’individu et le medium paraît avoir disparu ; elles ont fini par co-exister quand elles n’ont pas fusionné l’une dans l’autre. Dans ce sens, le rôle et la fonction de la Fondation consacrée à  la diffusion d’événements artistiques contemporains doivent être principalement re-examinés et re-intreprétés, et presque absolument, comme un lieu de recherche ou aborder aussi bien les techniques traditionnelles qu’expérimentales, de façon à  ce que leur identié multimédia puisse être révélée. L’Institution, accessoirement, doit être amenée à  se re-inventer et se présenter comme un territoire ouvert et polymorphe dans le but de libérer de tous les langages — de l’art à  l’architecture, le design, le cinéma, la mode, la philosophie, la musique et le théâtre — afin d’abattre les frontières entre les arts une fois pour toutes.

C’est dans cet esprit que Miuccia Prada et Patrizio Bertelli ont déployé tant d’efforts, depuis 1995, pour créer un « champ de force » vers lequel tous les langages artistiques puissent converger et leurs énergies rayonner au-delà  des murs qui les contiennent ainsi que dans le contexte urbain, obtenant ainsi une résonance nationale et finalement globale. (…) Le nouvel espace Prada sera un outil et un contexte pour une créativité ouverte et à  haut débit dans lequel l’utilisation de références architecturales — allant de celles historiques aux plus contemporaines et dynamiques — favorisera un début d’intersection entre les idiomes artistiques sans considération du médium. Cette démarche offrira la possibilité de rompre avec les compartiments qui limitent les musées conventionnels liés à  un seul langage, un moyen de transformer la Fondation en un espace intégré pour les expérimentations esthétiques qui permettent une communication hautement technologique, instantanée et globale.”

Jacques Magnol

Glassfloor

Images courtesy Fondazione Prada. Copyright AMO*OMA

 

Miuccia Prada et Patrizio Bertelli ont fondé la Fondation Prada en 1993 et Germano Celant en a pris la direction artistique en 1995. La Fondation a produit et commissionné des installations spéciales avec les artistes : Eliseo Mattiacci, Nino Franchina, David Smith, Mark di Suvero, Anish Kapoor, Michael Heizer, Louise Bourgeois, Dan Flavin, Laurie Anderson, Sam Taylor-Wood, Mariko Mori, Walter De Maria, Marc Quinn, Carsten Hà¶ller, Enrico Castellani, Barry McGee, Tom Friedman, Andreas Slominski, Giulio Paolini, Francesco Vezzoli, Steve McQueen, Tom Sachs, Tobias Rehberger, Thomas Demand.

Publié dans architecture et urbanisme
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