Une même démarche est jugée artistique à Genève, et politique à Berlin

La Bourse Ville de Genève 2017 pour la médiation culturelle en art contemporain décernée au collectif Maud Constantin, Ramaya Tegegne et Tatiana Rihs. Photo Jacques Magnol.

A Berlin et à Genève, à l’occasion de la remise de distinctions artistiques, des artistes ont fait état publiquement de revendications visant à bénéficier d’une rémunération lors de la participation à des concours et des expositions.

Une revendication salariale, politique puisque liée à la politique culturelle, peut-elle être considérée comme un acte de médiation culturelle ? La Ville de Genève, par l’intermédiaire du FMAC, a répondu par l’affirmative en attribuant la “Bourse 2017 pour la médiation culturelle en art contemporain” au collectif d’artistes auteur d’un document plaidant une juste rémunération des artistes invités à un concours ou une exposition soient rémunérés. Maud Constantin, Ramaya Tegegne et Tatiana Rihs qui constituent ce collectif prévoit d’organiser “des plates-formes de réunion en invitant des personnalités de milieux distincts à réfléchir et interagir avec le public sur le futur de l’art ainsi que son l’histoire, au travers des revendications culturelles d’aujourd’hui. Que ce soit le féminisme, le genre, la sexualité ou encore la pédagogie, mais également la définition de l’artiste et de sa condition.”

Agnieszka Polskas Installation, “What the Sun Has Seen (Version II)”, 2017. © Nationalgalerie – Staatliche Museen zu Berlin / Jan Windszus / Courtesy Zak Branicka Galerie, Berlin and OVERDUIN & CO., LA)

La déclaration des quatre artistes finalistes

En tant que quatre finalistes du Prix de la Nationalgalerie, nous avons décidé de publier une déclaration commune concernant notre expérience. Notre déclaration est un moyen de souligner et de recommander des changements à trois aspects problématiques du prix, aspects que nous trouvons indicatifs des tendances qui prennent de plus en plus d’ampleur dans le domaine de l’art et qui méritent donc d’être exposés publiquement.
I.
Le Prix de la Nationalgalerie, accueilli par la Hamburger Bahnhof – Museum für Gegenwart – Berlin, est une joint-venture entre la Nationalgalerie de la Staatliche Museen et la Freunde der Nationalgalerie, dont BMW est le sponsor principal. Nous retenons que l’intention affichée de ce prix est de soutenir et de faire connaître des positions et des pratiques artistiques sérieuses d’artistes basés en Allemagne.
Dans cet esprit, nous avons été troublées par l’emphase constante, dans les communiqués de presse et les discours publics, qui accompagne les mentions de notre genre et de nos nationalités, au détriment du contenu de notre travail. Il est clair pour nous que dans un monde plus égalitaire, le fait de notre genre et de notre origine nationale serait à peine perçu. Les voir constamment soulignés ne peut qu’indiquer à quel point nous sommes loin d’un tel monde égalitaire. De plus, l’utilisation à titre de faire-valoir personnel de la diversité en tant qu’outil de relations publiques risque de masquer les très graves inégalités systémiques qui persistent à tous les niveaux de notre domaine.
Nous aimerions souligner que les engagements en faveur de la diversité en termes de genre, de race et d’expérience doivent être intégrés dans les activités quotidiennes des institutions et des organisations plutôt que célébrés occasionnellement lors d’événements de grande envergure.
II.
La cérémonie de remise du Prix de la Nationalgalerie a semblé être plus une célébration des sponsors et des institutions qu’un moment de dialogue avec les artistes et leurs œuvres. Le prix a été annoncé à la fin de nombreux discours et performances, dans ce qui ne peut être décrit comme un grand dévoilement. Une solution à ce problème serait d’annoncer d’abord le gagnant et de laisser la cérémonie être l’occasion de célébrer et de donner la parole à l’artiste lauréat et de s’engager dans sa pratique.
Certaines conventions, qui peuvent fonctionner dans le monde de l’entreprise et les industries du divertissement, semblent hors de propos lorsqu’elles sont appliquées au domaine de l’art. Le prix n’a pas besoin d’être organisé d’une manière qui implique une sentiment de concurrence entre des personnes qui ne sont pas dans cet esprit. Le structurer de cette manière entraîne la création d’obstacles à la solidarité, à la collectivité et au soutien mutuel entre les artistes.
III.
Nous croyons que toutes les expositions, y compris les expositions des candidats présélectionnés, devraient inclure des honoraires d’artistes. De plus, les discussions d’artistes, les groupes d’experts et les discussions publiques devraient également comprendre des frais. Les artistes contribuent grandement au prestige de ce prix, et leur travail, comme toutes les formes de travail, doit être compensé proportionnellement.
Le fait que le Prix de la Nationalgalerie n’a pas de valeur monétaire et que les expositions et les conférences publiques de ses candidats n’incluent pas de frais, signifie que les artistes ne sont récompensés que par la promesse d’une exposition. Il y a une présomption tacite que les participants sont susceptibles d’être rémunérés par le marché à la suite de leur nomination ou de leur prix. En tant qu’artistes, nous savons que ce n’est pas toujours le cas. La logique des artistes travaillant pour l’exposition alimente directement la normalisation des structures de rémunération non réglementées omniprésentes dans le domaine de l’art, ainsi que l’expansion de la puissance du secteur commercial sur tous les aspects du domaine.
Enfin, nous encourageons le musée, ses amis et les sponsors, et toutes les parties prenantes concernées, y compris les candidats et candidates passés, à discuter de ces questions dans l’espoir que nous pourrons ensemble améliorer la situation pour les futures versions du prix. Nous espérons que cette discussion pourra servir de modèle pour envisager d’autres événements similaires dans le domaine de l’art.
Sol Calero, Iman Issa, Jumana Manna et Agnieszka Polska

Par la suite, la Nationalgalerie de Berlin a pris en considération les commentaires des quatre artistes et engagé un dialogue.

Publié dans arts, expositions, musées-centres, politique culturelle