Par Marco Polli
La question de l’adéquation entre la proposition artistique (théâtrale en l’occurrence) et le public, posée en tant que telle est insoluble et sans objet. On n’a, en effet, pas affaire à deux entités homogènes qu’il suffirait d’accorder. La production théâtrale peut être aussi bien l’exploitation d’un créneau garantissant le succès qu’une création en rupture qui ne rencontre pas son public et le trouvera peut-être plus tard. Ce qui est le lot de toute création.
Je ne méprise par la première – qui a sa justification – mais c’est de loin la deuxième qui, du point de vue artistique, est la plus intéressante. Et aucun système, aucune structure ne remplacera l’intuition, la vision d’une personne ou d’un groupe qui saura discerner le futur à contre-courant du jugement du moment. C’est pourquoi les structures d’évaluation – c’est bien le cas lorsqu’il s’agit de subventionner ou non telle production – doivent obéir à trois principes absolus: la diversité, la souplesse et la limitation dans le temps des mandats.
La recherche de la cohérence de l’offre reposant sur un désir prêté à UN public relève au mieux de la science fiction; au pire d’une ambition bureaucratique de contrôle qui se fait toujours au détriment de la dynamique culturelle.
Car les publics sont non seulement pluriels et hétérogènes, mais non réductibles les uns aux autres. L’ambition des Jean Vilar et Denis Guénoun d’amener les ouvriers, la concierge et le chauffeurs de taxi au théâtre – que j’ai partagée dans l’esprit du temps – procédaient d’une volonté juste de rendre le théâtre accessible à tous. En revanche elle se trompait en postulant l’universalité d’UNE forme de culture, celle des classiques. Sauf dans certains cas ou certaines sociétés déstructurées ou déliquescentes, toutes les strates de la population ont des goûts, des valeurs à partir desquels elles reçoivent et trient ce qui leur convient. Une médiation bien comprise, si elle veut être efficace, doit tenir compte de cette diversité, s’efforcer d’en identifier l’inévitable hétérogénéité pour partir d’elle et maintenir vivante la diversité culturelle.
Ce qui s’est passé dans les années 1970-90 est riche d’enseignements. Une nouvelle génération émergente est venue bouleverser les formes, les lieux, les genres à partir de sa lecture du monde, de ses rêves. La première réaction de l’establishment de l’époque a été d’envoyer la police pour réprimer ces désordres. Et, dans cette cacophonie, quelques esprits éclairés aux commandes de la Ville de GE – par opposition au canton – on su discerner des formes nouvelles.
Conclusions? Restons prudents avec les prédictions, souples avec les structures d’évaluation, à l’écoute de la diversité foisonnante de l’offre culturelle. En clair, rien n’est plus éloigné de ce point de vue que la création d’un Conseil de la culture bureaucratisé, clientélaire et pérennisé, assorti de la volonté affichée par le projet du Conseil d’Etat d’imposer l’exemplarité de quelques modèles culturels.
Marco Polli