Sommes-nous capables de pardonner les erreurs du passé pour survivre à l’avenir ? C’est la question que Nelson Mandela et Desmond Tutu ont posée au peuple sud-africain après un demi-siècle d’apartheid brutal.
Un serpent engendre un serpent, de Michael Lessac, suit un groupe d’acteurs sud-africains tandis qu’ils visitent les régions du monde déchirées par la guerre pour partager l’expérience de réconciliation menée dans ces pays. Alors qu’ils engagent un dialogue entre les personnes qui ont des souvenirs précis des atrocités, ils découvrent qu’ils doivent de nouveau affronter le passé compliqué et violent de leur pays natal et remettre en question leur propre capacité à guérir et pardonner.
C’est en 2003 que Michael Lessac a imaginé de scénographier l’histoire de la réconciliation en partant de l’Afrique du Sud post-apartheid. Après avoir mené des entretiens approfondis puis visionné des centaines d’heures de vidéo et pris connaissance de milliers de pages de transcriptions d’auditions, Lessac a rassemblé une troupe d’acteurs et de musiciens sud-africains venus de tous les côtés de l’Apartheid pour créer une production théâtrale à même de relater cette histoire dans les diverses zones de conflit autour du monde. La musique du légendaire compositeur sud-africain Hugh Masekela sert de lien tout au long du récit.
Le contexte historique
C’était censé devenir un bain de sang. Mais plutôt que la guerre civile, la victoire de 1994 par le Congrès national africain dans les premières élections multiraciales de l’Afrique du Sud a conduit à une expérience sans précédent : la création de la Commission de la vérité et de la réconciliation (TAC). Face au regard du monde, victimes et criminels ont raconté leurs histoires face à face, posant les blessures d’une nation sur la table.
Tous ceux qui ont témoigné étaient des Sud-Africains. Tous étaient selon eux des patriotes. Ensemble, ils se sont réunis dans les mairies à travers le pays pour tenter de se considérer mutuellement comme des êtres humains. Certains sont venus pour tenter d’obtenir des réponses simples : Où est ma fille ? Où est mon fils ? Certains sont venus parler, d’autres écouter. Certains sont venus pour pardonner, d’autres pour le pardon. La TRC a été habilitée à offrir une amnistie en échange d’une divulgation complète des faits par leur auteur – un compromis douloureux entre la vérité et la justice traditionnelle, mais qui a assuré la survie de la nation.
Presque invisibles, mais toujours présents au cours du TAC, ce sont les jeunes qui ont traduit les horribles histoires partagées par les victimes et les criminels. Avec onze langues parlées en Afrique du Sud, chaque témoignage exigeait une traduction en temps réel. En tant qu’interprètes, ils ont eu le mandat de reproduire les émotions, tout en évitant de rester impliqué émotionnellement – pour être des relais impartiaux par lesquels les informations ont circulé. Mais parce qu’ils ont traduit à la première personne, ils ont tout absorbé. Ils sont devenus les deux faces de tous les témoignages, personnifiant chaque vérité et chaque mensonge. Ce furent leurs voix qui devinrent familières pour l’ensemble du pays. Ils devinrent les témoins pour qui la négation n’était pas une option.
Un voyage dans les violences qui ont ravagé trois continents
Un serpent engendre un serpent emmène la troupe dans 26 villes sur trois continents, dans des pays qui ont subi le génocide, la violence et des atrocités, du Rwanda post-génocide aux Balkans déchirés par la guerre, en passant par l’Irlande du Nord après les troubles. À chaque étape, des lueurs d’espoir et d’incertitude ponctuent le voyage des acteurs.
La pièce devient un miroir où les spectateurs et les spectateurs se retrouvent confrontés à leur passé à travers les yeux de l’autre. Les masques sont abandonnés. L’identité est menacée. L’espoir émerge, même si la peur de perdre l’espoir s’incline. Lorsqu’ils défient le public de lutter contre leurs craintes et leurs haines, les acteurs commencent à remettre en question la fragile réconciliation qui les tient ensemble.
Au Rwanda, ils voient émerger des possibilités étonnantes de pardon. À Belfast, ils se heurtent à des soupçons, un refus presque militant de pardonner. Au Kosovo, en Bosnie, en Serbie et en Croatie, ils rencontrent un peuple obnubilé par le passé, incapable de s’échapper – un désespoir que les acteurs s’efforcent de combattre. Ils absorbent tout, ils se battent, ils continuent. Et, en arrière-plan, ils posent et reposent les questions inévitables sur la nature même du pardon, de la fragilité, du danger et de la question même de savoir si la réconciliation elle-même est vraiment possible.
À une époque où des cycles de vengeance menacent de détruire la planète, ces leçons peuvent-elles servir d’instrument de paix? L’idée du pardon est-elle même viable? Le pardon signifie-t-il la même chose entre les langues et les cultures? Et le théâtre et la musique – créés par des gens qui ont déjà regardé le canon du fusil des uns des autres – résonnent-ils dans d’autres zones de conflit ? Peut-il amener les gens ensemble, à travers les frontières, à laisser tomber leurs masques et à énoncer leurs propres vérités, dans l’espoir que cela leur permettra de se voir, de se voir réellement … peut-être pour la première fois? Ce sont les questions qui constituent le fil du film. D’abord intitulé Truth in Translation, tout comme la pièce, le film est devenu Un serpent engendre serpent pour faire référence à la question qui apparaît souvent dans des situations de conflit : Pourquoi les auteurs des crimes ont-ils tué tant de bébés ? La réponse, quelle que soit la culture, est toujours, d’une manière ou d’une autre, un serpent engendre un serpent. Quand la vengeance est célébrée comme de l’héroïsme, c’est une tentative misérable d’excuser les crimes. »
Pardonner le passé pour survivre
Michael Lessac a commencé à travailler sur le film en 2001, deux mois avant le 11 septembre. Il s’était rendu en Afrique du Sud après avoir entendu parler d’un endroit qui avait, dans la douleur et dans la célébration, su pardonner le passé pour survivre à l’avenir. Ils avaient fait quelque chose qu’aucun autre pays du monde n’avait jamais fait. L’auteur a alors voulu savoir comment, et quel genre de personnes pouvaient faire cela. Il voyait dans cet engagement « un progrès pour l’humanité, une démarche qui représentait un potentiel d’espoir pour le monde. Et j’ai décidé d’essayer de raconter l’histoire en tant que témoin pour que d’autres qui avaient autant besoin de cet espoir. »
Représentation ni la vérité ni de la fiction, le film se compose de multiples vérités qui s’opposent entre elles et qui, considérées dans leur ensemble conduise « les spectateurs à penser qu’ils peuvent laisser tomber leur masque, et qu’ils n’en mourront pas. »
Un serpent engendre un serpent
Sous-titré français et allemand
Projection Ciné-ONU au Cinérama Empire. Genève.
Mardi 4 avril 2017. 18h30. Entrée libre.
La projection sera suivie d’un débat entre Michael Lessac, cinéaste, Jackie Bertrand Lessac, productrice du film, et un représentant de la Mission permanente du Rwanda.
Voir le site du film.
Les projections de Ciné-ONU Genève sont gratuites et ouvertes à tous et se déroulent au Palais des Nations ou dans la ville (salles partenaires ou en plein air). Les films sont suivis d’une discussion avec un panel de spécialistes invités pour l’occasion : universitaires, experts de l’ONU; réalisateurs et acteurs échangent avec le public afin d’approfondir les problématiques soulevées par le film. La programmation 2017 vise à éclairer au fil des projections sur des thèmes clefs de l’actualité des Nations Unies. Infos: cineONU@unog.ch