La question du statut social et économique de l’artiste a été abordée à plusieurs reprises ces dernières années, soit dans le cadre des Forums du RAAC à Genève, soit dans les multiples luttes menées par les associations professionnelles, les syndicats et divers mouvements autour de la loi sur le chômage et du statut de l’intermittence. Ces discussions sont complexes et divisent même la profession. L’intermittence est-elle un statut à défendre? Doit-on évoluer vers d’autres modèles? Comment préserver les aides à la création tout en améliorant le statut social? Dans son ouvrage Art, culture et création le RAAC a fait plusieurs propositions concernant ces questions, notamment la mise en place d’un projet pilote pour la prévoyance professionnelle. Un groupe de travail interne au canton a été créé à la suite des Forums dont nous attendons les conclusions et le canton a proposé, dans son projet de loi sur la culture, l’introduction d’un article sur le statut social de l’artiste. Si la loi est votée par le Parlement, il s’agira alors de concrétiser cette volonté et cela devra se faire en concertation avec les milieux professionnels et les collectivités publiques qui interviennent dans le soutien à la culture.
Cette prochaine Rencontre théâtrale sera l’occasion d’élargir le champs de la discussion, tout d’abord aux nombreux métiers qui peuplent les arts de la scène, à leurs évolutions, à leur précarisation (voire leur disparition) et aux propositions et mesures à prendre pour soutenir et valoriser les métiers du théâtre. En parcourant le Livre blanc des métiers de la scène du côté des coulisses, Scènes de Travail, ou en me replongeant dans les témoignages du Cahier noir de l’intermittence je prends acte à la fois de la grande diversité des métiers et des parcours et à la fois de la grande précarité des personnes qui ont choisi ces professions, comédiens, comédiennes, mise en scène, décors, costumes, technique, maquillage, son, lumière, scénographie, images, administration, communication, et j’en oublie sûrement.
Création après création le constat est le même. Dans les budgets on voit des lignes consacrées à ces métiers. Dans les comptes la plupart sont réduites ou ont disparu. Les créations se font la plupart du temps au rabais car il est rare pour une production d’obtenir l’ensemble des financements. Nous l’avons déjà évoqué durant d’autres Rencontres, la multiplicité des soutiens peut être une source de précarité. Trop peu de représentations et de tournées également. Trop peu d’engagement des institutions qui accueillent ou co produisent aussi. Trop peu de collaborations possibles entre les artistes et l’école genevoise? Au fil des discussions nous avons échangé sur la nécessité de financer des reprises ou de mieux coordonner les octrois de subventions. Pour faire en sorte que la diversité des métiers soit préservée et pourquoi pas développée? Les futurs ateliers de la nouvelle Comédie sont un élément fort du projet de cette nouvelle institution. L’association pour la nouvelle Comédie a fait entendre les intérêts de la profession et du public en intégrant à part entière la présence de l’artisanat du spectacle dans le lieu même de création; une fabrique de théâtre! J’ai également initié avec mon Département une réflexion globale sur l’économie créative dans le contexte genevois, mais je suis d’ores et déjà convaincu qu’il est nécessaire des les faire connaître, de les valoriser auprès du grand public, d’assurer une promotion et une reconnaissance de l’importance de tous les métiers du spectacle, y compris de ces métiers «de l’ombre» et des formations initiales et continues qui permettent leur existence. Dans ce sens, le Département de la culture et du sport de la Ville de Genève s’engagera à nouveau cette année dans la Journée européenne des métiers d’art, en avril 2013.
Ces dernières années, la Ville de Genève, ville-centre de l’agglomération, et les autres communes urbaines ont développé de manière substantielle leurs moyens pour la culture. La mobilisation des montants issus du nouveau Fonds intercommunal en faveur de projets culturels associant plusieurs communes témoigne de leur volonté de travailler ensemble. De nouveaux outils pour les subventions sont mis en place, outils qui rassemblent la Confédération, les cantons et les villes. Le terreau artistique est riche et diversifié. Avec les milieux culturels nous avons la responsabilité de mieux soutenir la création et le patrimoine, de clarifier la politique de subventionnement, de rassembler les partenaires en améliorant les mécanismes de concertation et de partenariat, de faire rayonner les institutions et les projets artistiques et culturels. Ce travail est en cours. Il faut néanmoins constater, comme l’a très bien expliqué le sociologue Pierre-Michel Menger, que l’essentiel de la croissance culturelle récente a été opérée sur l’emploi instable et une certaine prise de risque par les professionnel-le-s, entraînant de fait une précarisation croissante. En admettant des budgets constants, la question se pose donc clairement de la nécessité de «réduire la voilure» sur le nombre de projets ou d’institutions soutenus afin d’améliorer la condition sociale des artistes et actrices et acteurs culturels. La Ville de Zurich a fait ce choix du «payer mieux mais avec moins de subventionné-e-s». C’est peut-être une piste, mais elle implique aussi des renoncements, qui devront être discutés de manière ouverte.
La nouvelle loi sur le chômage entrée en vigueur le 1er avril 2011 a des répercussions concrètes sur l’emploi: précarisation massive et appauvrissement de la culture sont des conséquences à l’échelle nationale. La Ville de Genève, par son engagement fort dans le soutien à la culture, est confrontée à ces conséquences. Des mesures doivent être mises en places au niveau communal certes mais également régional et fédéral. Le RAAC avait d’ailleurs proposé la mise en place d’un Observatoire de l’emploi culturel, outil de pilotage essentiel car les données actuelles sont totalement insuffisantes. La Rencontre sur les métiers du théâtre est un espace ouvert à des échanges et des propositions concernant l’avenir des métiers du théâtre, à leur diversité et à leur valorisation. Utilisez le !
Sami Kanaan