« Voyage en Polygonie ». Théâtre des Marionnettes de Genève.
Le récit signé de l’auteur américain Shel Silverstein, adapté pour un très jeune public par François Parmentier, dès 4 ans, est une redécouverte du monde des formes portée par des bruitages surprenants, des chansons pétillantes et une composition musicale tour à tour rythmée, jazzy échevelée et méditative.
Héros de cette histoire, Kré est un carré à qui il manque une partie, un petit triangle. Ni une ni deux, le voilà parti au loin, dans d’autres régions d’un pays imaginaire, la Polygonie. Différent de la géométrie ludique habituelle, il s’en va ainsi rechercher sa partie absente, son petit bout, dans un tourbillon de jeux d’ombres et de lumières. Au sein de la société des ronds, triangles et carrés, le héros, pas très en forme et qui a mal au coin, trouvera-t-il sa place, pareil à la pièce d’un puzzle ?
Comment comprendre les différences, comment les voir, comment vivre avec, comment les accepter ou les refuser. Ce qui anime cette histoire, ce sont ces différences de la vie, ce handicap à n’être pas comme les autres, les cabossés de l’âme, les tout tordus. Dans le monde des carrés, un des leurs se retrouve exclu de la communauté parce qu’il n’est pas comme eux, il est cabossé et il lui manque un bout pour être ce beau carré.
Promenade avec Pascal Vergnault, direction artistique, scénographe et comédien manipulateur.
D’où est venue cette idée d’une petite odyssée au pays des formes ?
Pascal Vergnault : Il y a un récit signé de l’auteur américain Shel Silverstein, Le Petit bout manquant, qui a, en partie, inspiré ce périple. Ce classique de la littérature jeunesse aux États-Unis est l’histoire de la quête essentielle d’une boule à bonne bouille à la recherche de ce bout qui pourrait la compléter. Pour Voyage en Polygonie, le coin qui vient à manquer permet un parallèle avec les humains, loin d’être parfaits si ce n’est complets. Nous avons nos petites différences et travers. C’est une fable qui se prête bien à développer le reflet possible d’une vie en société, à la fois léger et grave.
Lorsque chez Silverstein la boule se complète, elle ne peut plus chanter et choisit de déposer son ancien bout manquant.
On pense souvent être différent. D’où l’essai de se compléter ou de combler un manque, qu’il soit sentimental, physique, spirituel ou intellectuel. Avant de se rendre compte que l’on est aussi très bien comme l’on est. Et les gens ne doivent-ils pas tenter de nous accepter ainsi avec nos différences, failles et ce qui nous manque parfois corporellement ou au plan de la sensibilité, de l’intelligence ?
Récemment, je jouais devant des personnes ayant un handicap mental. Une spectatrice s’est étonnée de leur présence qui ne devrait pas, selon elle, être dévoilée aux enfants. Il y a ainsi encore bien du chemin à faire. Ce spectacle suggère avec modestie que notre société est multiple avec ses défauts, des personnes qui ne sont pas semblables à la norme dominante. En les accueillant positivement, il est aussi possible de s’enrichir. Il est ironique et révélateur de constater qu’à la fin, fort et enrichi du voyage réalisé en amont, Kré, le personnage principal a rencontré d’autres protagonistes qui l’ont accepté tel qu’il est.
Le manque met en mouvement, forme et déforme, ce dont on peut faire l’expérience quotidiennement.
On est dans la métaphore pour des petits avec un carré incomplet qui ressemble à un triangle. Au cours de son voyage qui le mènera au concours des plus belles formes ou aux Jeux Polygoniques, il rencontre des ronds, bâtons, triangles et autres personnages qui ne sont pas comme lui. Kré se rend compte alors que tout le monde n’est pas carré ou ne tourne pas en rond dans la vie. Ce que des chansons et ritournelles émaillant le récit font comprendre d’une autre manière avec une bande son qui se métamorphose aussi, passant d’un genre musical à l’autre.
On est dans la métaphore pour les petits avec un carré incomplet.
Voici un voyage ludique pour la famille qui permet certains retours sur soi et une appréhension des formes qui sont prolongées en direct par tout un travail vidéo autour de l’image projetée. De fait, un visage géométrique peut pleurer en projections. Ces dernières sont manipulées, déplacées en direct. L’univers peur rappeler la série télévisée française d’animation, les fameux Shadocks, des êtres aux apparences d’oiseaux dans un monde absurde ou, par instants, d’antiques jeux vidéo comme Pacman.
Voyage en Polygonie
Texte et mise en scène : François Parmentier. Direction artistique, scénographie et jeu : Pascal Vergnault.
Dès 4 ans. 29 mars au 13 avril 2014
Théâtre des Marionnettes de Genève. www.marionnettes.ch