Mon matelas et moi

scène

Au Théâtre de l’Usine, des danseurs prennent la pose sur canapé, ici pratiquant de yoga monté sur ischions, là  mutinement offerte. Scènes d’exposition, où le temps, hémophile, goutte vers un possible engourdissement des sens. Puis l’audace surprend au mitan d’une géométrie burlesque : des corps forclosant l’espace alité d’invisibles parois sonores, coulissantes.  Entretien avec Louise Hanmer

La mimographie n’évoque-t-elle pas de loin en loin les riches heures du cinéma burlesque en son subtile versant burlesque de guingois ? L’envoutement mi amusé mi inquiet, dès lors, ne cessera de froisser l’attention.

Mémoire d’espaces

L’opus réhabilite les coulisses de la mémoire architecturale de lieux investis par les trajectoires des trois interprètes. Qu’il joue du rafting, maraudant sur les terres de l’enfance, les couches devenant radeaux, Roll over surprend aussi la chambre comme lieu de culture et de mise en abyme. Ils sont trois sous un assemblage de matelas, décrivant un appartement recherché désespérément par épithètes : « conceptuel », « froid », « ennuyeux ». Possible écho à  l’exercice performatif en train de se faire. Qu’il nous fasse pénétrer dans un dortoir d’enfants-soldats résistant derrière un mur à  matelas, comme dans un bunker assiégé à  Tora-Bora, Roll over joue parfaitement de l’insert dramatique. Soudain un corps sans vie git sous la lumière sépulcrale avant de se révéler « toonesque zombie », évoluant tel un automate derrière un matelas à  carrés pliables. Une anecdote gestuelle drôle à  la base dérive dans une histoire encore plus délirante. Témoin, cette scène où la nudité du danseur se love comme rouleau de printemps dans les replis du matelas. Qui s’hybride avec l’interprète, devenant matrice de mouvements parodiant une ballerine néo-classique de boite à  musique.

Des topographies inlassablement arpentées, d’époque en époque, avec des zones d’oublis, deviennent des aventures corporelles, anatomie pliées sur les genoux, mains suggérant les bibliothèques ou les penderies. En soulignant de quelques gestes stylisés la visite guidée, Ruth Childs (étrange présence burlesque déposée entre l’excentrique Valeska Gert et la clownesque Gardi Hutter) propose le découpage d’un appartement par étapes mémorielles. C’est un trapèze fictif fait par son père qui la voit se balancer. Et une comptine chantée pour dire, de porté en porté, les contours l’ancienne demeure du Vermont. Autre parcours : le corps ouvert en X, sautillante au fil d’une veine véloce débondée par Pauline Wassermann. Elle fait surgir de manière éminemment concrète les éléments constitutifs de son espace privatif. Ensuite, la danseuse allonge son anatomie, visage contre matelas blanc, hanches dressées et jambe repliée en une posture érotico-méditative.

Dans une chorégraphie parlant du regard et de l’attention que chacun peut porter à  l’autre, les danseurs s’observent beaucoup que ce soit par soupçon ou curiosité. Il y a quelque chose du Doppler, récit dû au Norvégien Loe, dans la manière dont un occidental banal se déprend peu à  peu de tous les codes et habitudes de sa civilisation et se met en retrait en regardant avec perplexité les mà“urs de ses semblables. Sous une architecture de matelas assemblés, les protagonistes recherchent ainsi désespérément dans Roll over à  cerner un appartement par épithètes : conceptuel, froid. Possible écho à  la production en cours.
scène

Photos: Dorothée Thébert

Ouverture à  la paresse

Le retour à  l’enfance, c’est aussi cette chanson enfantine qui innerve le titre de la chorégraphie, « Il y en avait cinq dans un lit » dont le refrain est : « Et le petit a dit / “Retournez-vous, retournez-vous !” / Ils se sont tous retournés/ Et un est tombé ». Et au-delà  une forme d’éloge de la presse qui n’a pas toujours eu bonne presse. De péché capital ou crime contre la société du travail pour les autres, elle devient avec ces corps étendus cherchant leur place une réalité contemplative, contestataire. Par l’inaction et le vide, la paresse favorise la reconquête de soi. Cette création semble revendiquer pour chacun d’entre nous le droit de vivre des moments qui ne soient pas asservis à  une finalité quelconque. Non la vacuité, mais la vacance de l’être. Une façon de nous rendre disponible, de mieux nous préparer à  accueillir tout ce que le monde a l’obligeance de nous proposer. Une forme de poésie de l’espace comme paresse active, qui n’aurait pas déplu à  Baudelaire.
Bertrand Tappolet
Entretien avec Louise Hanmer, chorégraphe de Roll Over, à  paraître le 17 octobre

Théâtre de l’Usine, jusqu’au 18 octobre 2009
Rés : 022 328 08 18

Roll Over

Conception Louise Hanmer (création). Chorégraphie Louise Hanmer en collaboration avec les interprètes Ruth Childs, Mathias Glayre et Pauline Wassermann / Création sonore Trixa Arnold et Ilja Komarov / Lumières Jean-Philippe Roy / Administration Pâquis Production

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