L’Espace Fusterie sous le regard d’artistes : entre religion et art contemporain

Collage : gravure de Pierre Escuyer, vers 1800 (Bibliothèque de Genève) ; photo du film L’homme de Rio de Philippe de Broca, 1964. © Centre d’iconographie genevoise.

Que peut dire l’art contemporain sur un édifice religieux comme le temple de la Fusterie et sur une présence protestante dans l’hyper centre urbain de Genève ?
Que se passe-t-il dès lors qu’un regard artistique se porte sur un lieu « hybride » comme celui à la fois culturel et spirituel de l’Espace Fusterie ?
C’est le défi relevé ensemble, Espace Fusterie et Bureau des Interventions Publiques de la HEAD – Genève pour annoncer la fermeture du temple le 15 décembre prochain, durant 3 ans (2018-2020), pour restauration et rénovation.

Bien qu’en soit l’espace religieux ne soit, pour le protestantisme, nullement sacré travailler au temple n’est pas chose facile. Même si celui de la Fusterie est davantage ouvert à la culture et à l’échange qu’au recueillement et au culte, le poids de l’histoire et la qualité de l’architecture imposent une attention particulière.
Qu’il ait été construit par un architecte français sur le modèle du temple de Charenton (Paris) pour accueillir dès 1689 à Genève des réfugiés huguenots français, résonne avec notre actualité. Lieu de culture et de recueillement dans un esprit ouvert et humaniste, le temple de la Fusterie contraste naturellement avec les lieux de commerce et de négoce qui l’entourent.
Les activités culturelles disent aussi que ce temple n’est plus uniquement celui des fidèles mais aussi de ceux qui le visitent, entre-deux difficile à articuler.
Il fallait analyser cette situation, revenir aux fonctions premières, distinguer le temple d’une église, en savoir un peu plus sur le protestantisme pour comprendre l’architecture.
Les étudiant-e-s se sont d’abord concentré-e-s sur l’espace, la place de la lumière, celle de la parole, l’absence d’images.
Projeter des messages de bienvenue sur les marches, ouvrir toutes les portes, vider le temple de tout ce qui leur semblait superflu ou mettre des housses blanches pour rendre fantomatiques mobilier et objets d’usage, monter en chaire et lire en continu la Bible à voix basse. Créer une installation sonore, pavoiser la façade, autant d’idées travaillées et abandonnées.
Discussions avec la Pasteure, rencontres avec celles et ceux qui animent l’Espace Fusterie, visite à la Cathédrale ou à l’exposition sur les 100 ans du Mur des Réformateurs, documentaires sur l’histoire du protestantisme et sur les interventions artistiques dans des lieux de culte, ont nourri les projets qui ont évolué.

Nécessaire maturation mais aussi questionnement : que faire dans ce lieu sans ajouter inutilement de la complexité ? Ne rien faire d’autre que le vider entièrement et en ouvrir toutes les portes, laissant la lumière seule fût maintes fois évoqué. Ce geste radical extrêmement simple est impossible. Il est trop tôt.
Alors dans une forme de repli sur soi, les étudiant-e-s proposent trois projets extrêmement personnels qui ensemble composent cependant un dispositif familier dans les lieux de culte.

Image, lumière et parole

Deux peintures d’Elodie Couraud encadrant la chaire sur laquelle Alexander Gence montera pour un discours intitulé […] que j’énoncerais quelque chose. Durant toute la soirée, Trois Mille Trois Cent Soixante Grammes, sculpture en cire sur socle se consumera.

Le discours se fait au nom du JE en une performance qui engage le corps tout entier, surélevé dans un lieu justement fait pour la parole. Angoisse, titre des peintures, dit à lui seul la charge émotionnelle qu’elles portent, ajout d’images dans ce lieu qui initialement n’en montrait pas et qui aujourd’hui en expose.
Quant au poids de la sculpture éphémère c’est celui des hosties consommées par Daniela Carmo, de sa communion à sa décision de ne plus communier. Il ne s’agit pas là d’une forme de conversion mais la prolongation d’un travail sur la question religieuse entamé de longue date.

Tous, finalement, s’ils et elles travaillent pour et dans le temple, ont résolu de le faire au plus proche de leur travail, avec leurs outils et dans une dynamique naturelle d’avancement. Ce travail bien qu’in situ ne fait pas césure mais s’inscrit dans un continuum. Directement ou symboliquement présence du corps, engagement et responsabilité individuelle lisibles dans ces propositions se font écho de nos échanges mutuels et fructueux sur le protestantisme et cette architecture.

L’importance de l’architecture dans nos réflexions nous a amenés à inviter Pierre Leguillon pour La Promesse de l’écran qui présente La Promesse de l’architecture.

La Promesse de l’écran 

D’abord ouverte par Pierre Leguillon à Paris en 2007, La Promesse de l’écran est un dispositif mobile tenant autant de la projection que de la performance, qui a pris de multiples formes en s’adaptant à des lieux très divers, publics ou privés. Le caractère collectif et convivial du rituel de la projection s’y trouve sans cesse rejoué.
Les séances sont consacrées à des aspects périphériques du cinéma : générique, affiche, motif récurrent, etc. ou bien proposent de regarder en direction de l’écran depuis un autre médium : poésie, peinture, dessin…

Réalisée à l’initiative du CAPC, Musée d’Art contemporain de Bordeaux, La Promesse de l’architecture fut d’abord projetée à l’été 2009 dans la Maison Lemoine, dessinée par Rem Koolhaas à Floirac. Elle signa aussi la fin de chantier, en juin 2010, d’une autre maison privée, construite par Christian Pottgiesser (architecturespossibles) à Louveciennes, en périphérie de Paris. Elle fut ensuite projetée dans le grand foyer du Théâtre National de Chaillot à Paris, avec vue imprenable sur la Tour Eiffel (octobre 2011), et plus récemment encore, sur la terrasse du Beyrouth Art Center (juin 2015).

Le montage La Promesse de l’architecture échafaude des dizaines de séquences tournées dans des architectures remarquables, ou décrivant remarquablement l’architecture. Une cité imaginaire construite sur des bâtiments réels se parcoure sur l’écran. Ses architectes sont tout à la fois Michelangelo Antonioni, Jacques Tati, Rainer Werner Fassbinder, Oscar Niemeyer, Jean-Luc Godard, Fritz Lang, Bertrand Blier, Man Ray ou Franck Lloyd Wright.

Claude-Hubert Tatot

Déroulement de la soirée BIP à la Fusterie –  Jeudi 22 juin 2017
Espace Fusterie. 18, place de la Fusterie. Genève – Entrée libre.

– 18h : 3 interventions in situ d’étudiant-e-s du BIP
Alexander Gence, (…) que j’énoncerais quelque chose, performance
Élodie Couraud, Angoisse, peintures
Daniela Carmo, Trois Mille Trois Cent Soixante Grammes, sculpture en cire sur socle

– 19h : La Promesse de l’Architecture par Pierre Leguillon
Le montage La Promesse de l’Architecture échafaude des dizaines de séquences tournées dans des architectures remarquables ou décrivant remarquablement l’architecture. Une cité imaginaire construite à partir de bâtiments réels se traverse sur l’écran. Ses architectes sont tout à la fois Michelangelo Antonioni, Jacques Tati, Oscar Niemeyer, Rainer Werner Fassbinder, Jean-Luc Godard, Fritz Lang, Man Ray ou Franck Lloyd Wright.

Angoisse, deux peintures de Elodie Couraud seront visibles durant la soirée et Trois Mille Trois Cent Soixante Grammes, sculpture en cire sur socle de Daniela Carmo se consumera.

Pierre Leguillon est né en 1969 à Nogent-sur-Marne (France), il vit et travaille à Bruxelles.
Ses œuvres, performances et projections ont bénéficié de nombreuses présentations monographiques, notamment à Raven Row (Londres,2011), au Mamco (Genève, 2010), au Moderna Museet (Malmö, Suède, 2010), au Musée du Louvre (Paris, 2009), ou encore à Artists Space (New York, 2009). Plus récemment, l’artiste a participé au Carnegie International à Pittsburgh en 2013, et à la Biennale de Taipeï en 2016. En 2015, une exposition monographique, Le Musée des Erreurs, a été présentée au Wiels à Bruxelles puis au Mrac à Sérignan (France).
Pierre Leguillon participe à l’exposition Dioramas au Palais de Tokyo à Paris, à partir du 14 juin 2017. Il enseigne à la HEAD – Genève, Haute école d’art et de design.

Espace Fusterie
HEAD

Publié dans art contemporain, arts