Les Perses, une mise en scène du texte d’Eschyle, par Claudia Bosse au Théâtre du Grütli.

“Voici donc Les Perses, critique de la guerre qu’Eschyle, ancien combattant, écrit en -472. Pour le Théâtre du Grütli, c’est l’occasion, au seuil d’une première saison, de se mettre aussi sur le seuil du théâtre occidental puisqu’il s’agit de la plus ancienne pièce intégralement conservée. A cette double lisière, que voit-on ? La première pièce d’actualité, qui utilise la scène comme media. Une structure narrative simple, matricielle. Une défaite désastreuse racontée trois fois : d’abord rêvée par la reine des Perses, puis racontée par le messager, enfin expliquée par l’ombre du grand roi mort, Darios.
Le dévoilement progressif d’une déroute qui culmine dans les lamentations du peuple assemblé.Près de 250 personnes ont commencé à  répéter cet été, 164 ont tenu bon. 164 citoyens pour former un chà“ur qui n’a pas eu peur des grands projets ni des grands mots (let’s experiment democracy ! disait l’annonce), qui a nourri de sa ferveur et de son travail la grande exigence de ce projet.” Michèle Pralong.

Claudia Bosse. Interview par Jacques Magnol [display_podcast]

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Un commentaire pour “Les Perses, une mise en scène du texte d’Eschyle, par Claudia Bosse au Théâtre du Grütli.
  1. Eric Fiechter dit :

    Genève et Berne, février 2010

    Claudia Bosse – un cycle de performances à  travers l’Europe – «Richtig gfüerchtig isch es gsy»

    Claudia Bosse, l’animatrice du Theatercombinat est la championne d’un théâtre ou l’acteur individuel disparaît au profit des mouvements de masses. Et pourtant, même si les mises en scènes de Claudia Bosse mettent l’accent sur la performance collective, niant parfois même avec violence la personnalité des acteurs qu’elle met en à“uvre, je commencerai par mentionner deux artistes qui ont joué un rôle central dans ce cycle de performances qu’elle a lancé de main de maître. Ces deux artistes sont Doris Uhlich, dans le rôle de la reine des Perses d’ Eschyle, que je revois encore s’effondrer du haut de ses échasses et avec toute sa masse corporelle, aussi bien dans la production genevoise et que dans celle de Vienne. Quel symbole parfait de la grandeur et de la fragilité de cette reine. L’autre artiste est Aurelia Burckhardt qui a attiré mon attention sur cette suite de performances théâtrales et que j’ai eu le plaisir de retrouver toujours pleine d’énergie et de puissance expressive, malgré le carcan dans lequel tous les artistes étaient enfermés, pour mieux rendre collectivement la violence et les jeux de pouvoir mis en avant dans tous les spectacles du cycle.

    Ce sont donc des masses scandant des textes sublimes, avec précision et force, mais parfois dans une constellation si complexe que l’on ne savait plus qui écouter, surtout compte tenu de l’acoustique des lieux choisis pour les déclamer. Car tous ces spectacles ont été réalisés dans des lieux aussi éloignés d’une salle de théâtre qu’il est possible de l’imaginer: un ancien dépôt de tram, un boyau de métro ou une immense halle d’expédition abandonnée, quand ce n’était pas une installation antiaérienne des nazis durant la deuxième guerre mondiale.

    Les Perses d’Eschyle, la plus ancienne pièce de théâtre qui nous soit parvenue, m’ont le plus fasciné, surtout dans la production genevoise, bilingue français-allemand. Tout se jouait dans l’obscurité, au milieu de près de deux cents participants scandant avec précision et ferveur le texte écrit il y a des millénaires et rendant compte des faits de guerre et de la douleur qui en découle pour les hommes. Immersion totale, bouleversante, la tragédie vécue en plein, à  fleur de peau. Pas étonnant que les spectacles furent donnés à  guichet fermé. La version viennoise fut plus précise, mais moins superbement brutale, car le chà“ur n’était composé que de six artistes professionnels, les spectateurs se déplaçant dans un boyau inutilisé du métro viennois sur une centaine de mètres, au gré de l’action ou de leur envie.

    Le Coriolan de Shakespeare, revisité par Claudia Bosse, fut joué en trois heures et demie sans pause, dans un dépôt de tram abandonné, ce qui limitait drastiquement le nombre maximum de spectateurs (80). Etonnante performance, mais difficile de rendre de façon compréhensible le texte, déclamé en version bilingue, comme les Perses à  Genève, mais cette fois en anglais et en allemand. Le prologue, présenté sous le titre de « Turn Terror into Sport » est déjà  tout un programme. Inspirée de la vie de Coriolan, militaire romain rendu légendaire par Plutarque, la pièce nous dépeignit les élévations et les chutes de ce héros. Cette pièce ne manque pas d’idées justes, comme le peuple girouette, ou l’ingratitude humaine. Et le peuple fut fort bien joué par des acteurs amateurs se manifestant à  coup de step-dance. Aurelia Burckhardt tenait farouchement le rôle de Ménénius, l’ami de Coriolan et a notamment déclamé le texte très amusant sur le rôle du ventre paresseux qui pourtant nourrit tous les membres et organes actifs du corps, de sorte que ces organes ne seraient rien sans le ventre. Ces organes ont donc tort de se rebeller contre le ventre, même s’il leur paraît paresseux.

    Du Phèdre de Racine, interprété dans la salle de réunion politique du Faubourg à  Genève, je me souviens surtout de ces acteurs nus, âgés, exposés pendant trois heures non stop à  la lumière crue des néons! Claudia Bosse a fait ressortir une fois de plus son énergie sauvage au service de textes mettant en avant le pouvoir. Curieusement, la laide nudité des acteurs n’est pas l’aspect qui m’avait le plus frappé à  l’époque, mais c’est celui qui ressort maintenant avec d’autant plus de force! Que notre cerveau peut être déroutant dans sa façon de traiter l’information dans la durée.

    L’installation « Bambiland » à  partir d’un texte de Elfride Jeliineck, au Gefechtsturm (Flakturm) du Arenbergerpark fut un coup de génie de Claudia Bosse: on aurait pas pu trouver mieux. Quel contraste entre ces restants gigantesques et monstrueux de la deuxième guerre mondiale et l’élégante Vienne à  quelques minutes de là . Mais quel lieu aurait été plus approprié pour évoquer la guerre en Irak ? Claudia Bosse a cette fois intitulé sa création « akustisch-performative intervention» pour nous parler de la confrontation avec l‘autorité. Du haut de nos sièges d’arbitres de tennis, dans cet endroit sinistre à  loisir, nous avons suivi trois scènes d’activités parallèles, avec des haut-parleurs paraboliques mobiles à  relents militaires, mis en action par des acteurs en tenues d’animaux. C’est la première fois que, perché sur la chaise d’arbitre autour de laquelle défilaient les autres spectateurs, j’ai eu la nette impression de faire partie de l’installation, comme les haut-parleurs que je dominais.

    Le dernier spectacle fut probablement le plus ludique de toute la série, malgré son titre : « 2481 desaster zone, eine Multi-Hybride Performance ». Le sol de l’immense halle d’expédition, de ce qui fut autrefois une fabrique de pain, complètement recouvert d’une poudre blanche que j’associais, je ne sais pourquoi, à  de la dioxine et qu’il fallait traverser pour accéder aux sièges, donne déjà  une image de l’ambiance froide et mortelle qui nous attendais. Ces sièges, rivés ensemble par blocs de quatre, ont ensuite été éparpillés aux quatre coins de la salle. Ils étaient montés sur des planches à  roulettes ce qui les rendaient mobiles. Les artistes les poussaient d’un endroit à  l’autre au gré de l’action, nous mettant à  l’écart ou au contraire nous réunissant, parfois violemment, alors que les textes étaient scandés de toutes parts, comme autant d’échos des Perses d’Eschyle ou de Jelinek. Ces mouvements parfois lents, parfois chaotiques, me faisaient penser aux voitures tamponneuses d’un champs de foire, mais en même temps les cris « alarm alarm » et toute l’atmosphère qui nous donnait l’impression d’être les seuls rescapés d’un accident majeur, loin de toute vie humaine, avaient une force d’expression qui dépassaient de loin le texte.

    Bref, la fin de ce cycle de performances théâtrales constitua une prouesse aussi pour les artistes qui devaient tout à  la fois déclamer leurs textes, se coordonner sur un terrain qui paraissait presque aussi grand qu’un terrain de football et pousser les sièges des spectateurs parfois à  toute vitesse. Une apothéose en somme, où la dureté initiale des mouvements de masse céda la place à  une performance à  la fois inquiétante par l’ambiance générale, mais aussi bon-enfant et agréable, car ces déplacements de spectateurs d’un coin à  l’autre procuraient une sensation jouissive, étrangement en contradiction avec les sons que nos oreilles percevaient.

    Claudia Bosse et toute son équipe nous ont fait vivre des heures intenses mêlant habilement tous les sentiments et sensations humains.

    Eric Fiechter

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