Le Chat sans queue. Théâtre des Marionnettes de Genève, jusqu’au 26 avril.
Nous sommes tous différents mais certains se rapprochent pourtant mieux de la norme du moment et jouissent d’une meilleure insertion sociale. Cette différence est le thème du Chat sans queue joué actuellement au Théâtre des Marionnettes de Genève, et sans utiliser la pitié ou les bons sentiments le message passe chez les tout-petits.
A l’aide des dessins simples et poétiques, aux couleurs très vives, d’Albertine, Olivier Carrel et Jacques Douplat détaillent des situations de la vie plus ou moins réalistes pour illustrer le développement du sentiment d’appartenance au groupe. La vedette sait qu’elle est un peu différente des autres et que cette différence sera remarquée. Les différences existent, physiques, culturelles, ethniques, sociales mais il suffit parfois de peu pour que le « pas pareil » ou « l’exclu » devienne subitement un héros et se trouve acclamé par la communauté qui ne voit alors plus sa différence.
Germano Zullo, auteur du récit, a imaginé un félin comme nu, dépourvu de sa queue, à vif, qui tente désespérément de se dissimuler
G.Z : Lorsque les inconditionnels des chats témoignent, ils avancent que le matou est plus honnête que son compagnon humain bipède, qu’il est indépendant et a son caractère bien tranché. Hemingway a d’ailleurs écrit : “Le chat est d’une honnêteté absolue : les êtres humains cachent, pour une raison ou une autre, leurs sentiments. Les chats non”. Notre chat est très jeune et, partant, d’une extrême naïveté. Il découvre la vie. On sent qu’il a été très protégé et câliné par ses parents. C’est alors le moment où il est invité à cultiver son émancipation. Il va ainsi devoir s’extraire du cocon familial avec une différence notoire. Qui ne va pas sans susciter la moquerie chez les autres.
Cette petite fable nous rappelle, s’il était encore besoin, qu’une règle universelle semble dicter notre comportement : se complaire dans la normalité, éviter la différence et tendre à la perfection. Il n’est donc jamais facile de rester soi-même au milieu des autres, d’autant plus que, très souvent, sans prévenir et sans que l’on sache vraiment pourquoi ni comment, quelqu’un ou quelque chose redistribue les cartes après les avoir mélangées, la différence peut alors se métamorphoser en perfection et la perfection devenir normalité.
Comment Guy Jutard, metteur en scène, a-t-il travaillé à partir de la dynamique graphique d’Albertine proposant des personnages aux formes allongées sur des à-plats colorés ?
G. J. : Les intuitions plastiques de départ sont, à chaque fois, confrontées à un matériau. Ce dernier peut-être ainsi le tissu plissé à l’occasion du Zoo de Monsieur Jean, les figurines bidimensionnelles sur La Promenade du roi ou le plastique thermoformé au détour des personnages de Chaperon Rouge Cartoon. Il y a ici la tentative de trouver une jolie analogie entre la façon dont Albertine déforme ses silhouettes, leur faisant prendre des poses éminemment graphiques. Ces figures ont déjà inscrites en elles un mouvement particulièrement étonnant. Il s’agit alors de prolonger, moduler, amplifier le fait qu’ils sont deux marionnettes.
Le souci est de préserver le caractère ingénu et l’esprit subtil que cette illustratrice met dans ses dessins. L’oeil occupe une place considérable dans les réalisations d’Albertine. Ainsi les yeux sont-ils réalisés de manière très simple, évoquant de loin en loin, certains dessins animés : une petite tache blanche piquée d’un point noir, d’une bille s’y baladant. Cette qualité de regard se doit de trouver un équivalent jusqu’au coeur des personnages.
Quel univers Albertine a-t-elle voulu proposer?
Albertine : Le désir est de travailler sur des plans avec une perspective faussée. J’ai toujours l’impression qu’une vérité ne peut se lire que dansla stylisation allongeant les personnages. C’est leur expression qui prévaut, à mes yeux. L’importance du dessin se cristallise sur cette force d’évocation, de caractérisation d’attitudes des protagonistes représentés. La couleur revêt une énorme importance, car elle permet de jouer de plans différents, de créer une atmosphère. En gouache, c’est la rapidité qui doit s’imposer. La lenteur dans le geste et la composition m’ennuie. C’est à la fois instinctif, comme appliqué sur le vif et dans le même temps il y a un savoir, une expérience rattachés à la création d’une couleur. Instinct et savoir sont ici mêlés. Je pose d’ailleurs ma couleur en acceptant qu’elle soit mal mélangée, qu’il puisse y avoir des matières, des dépôts. L’important est aussi que l’on puisse ressentir une sorte de vibration dans la couleur. Cela fait partie du rythme du dessin et de sa profondeur.
Le Chat sans queue
D’après le récit de Germano Zullo et les dessins d’Albertine
Texte, mise en scène et scénographie : Guy Jutard
Marionnettes : Albertine et Guy Jutard assistés de Matthias Brügger
Théâtre des Marionnettes de Genève. Jusqu’au 26 avril.
Le Monde d’Albertine
Albertine est une artiste et illustratrice genevoise. Elle a notamment collaboré à l’Hebdo comme illustratrice de presse. Elle enseigne la sérigraphie à l’Ecole supérieure d’arts visuels de Genève. Germano Zullo et Albertine ont reçu en 2003, au Festival international d’animation d’Annecy le prix spécial de la SACD et le prix Canal + pour un projet de court métrage d’animation de l’album Le Génie de la Boîte de Raviolis. Elle a publié de nombreux livres illustrés sur des scénarios de Germano Zullo notamment. Son dernier ouvrage paru est une adaptation très personnelle du Chat botté. Où elle habille l’histoire, fidèle en tout point à celle écrite par Perrault, des dessins pétillants et colorés qui la caractérisent. Un “bel exercice”, confie-t-elle, qui devrait donner suite à d’autres mises en images de contes de fées.