Les grues cendrées de Walter Schmid prennent leur envol sur les murs d’Andata/Ritorno

Walter Schmid. andata.ritorno. Photo Jacques Berthet.

Les grues cendrées prennent leur envol sur les murs d’Andata/Ritorno. Et le laboratoire d’art contemporain n’a peut-être jamais mieux porté son nom. La migration est un aller retour.  Texte : Michel Rime.

Walter Schmid, lui, transcende son retour. Le peintre des boxeurs, des camions ou des rhinocéros franchit la légèreté avec l’aisance de ces grands volatiles. Il leur rend vie à l’intérieur. Le bonheur plutôt que le féroce, la violence gommée par la grâce. Le pari s’annonçait risqué. Non seulement, il fallait sortir des dimensions modestes de l’atelier, quitter des supports connus pour travailler les murs à bras le corps, mais aussi déposer l’émotion, recréer la vie. Mission accomplie: en pénétrant dans la galerie, le visiteur entend les oiseaux fendre l’air. Pour peu, il perçoit le tumulte trompetant des grus grus, le nom latin des grues cendrées.

Les voici non pas reproduites sur les murs mais réincarnées. Elles volent. Ce qu’expriment tout particulièrement leurs becs, les becs, la cambrure et le parallélisme des cous, l’oscillation de leur corps. Les ailes. le visiteur pouvait s’y attendre. Dans la petite salle, elles nous accueillent debout et la danse des pattes rend leur assise organique. Plus grandes que nature, regroupées, prêtes à la grande migration vers le sud, les grues pèsent de tout leur poids. Il en vient également de l’est ce que montre le mur est de la petite pièce. Walter Schmid parle de scénario. D’abord, fuyant le froid, les grues viennent du Nord (sur le mur ouest de la grande salle). Elle arborent un noir plus profond car elles ouvrent le passage à la lumière, au soleil (sur le mur nord). Techniquement, il a fallu aborder l’angle. Le peintre, qui ne doute de rien, recourt à l’anamorphose. Réussite implacable car d’où qu’on les surprend les oiseaux transitent d’un mur à l’autre sans perdre l’aérodynamisme de leur corps. Quelques franges d’ailes se risquent même sur le plafond.

Walter Schmid. andata.ritorno. Photo Jacques Berthet.

Méticuleux, l’artiste? Méthodique. Rigoureusement: dans la domestication de l’espace, dans le découpage en zones rappelant les possibilités spatiales de l’atelier, dans la précision millimétrée des maquettes, dans l’exécution contrôlée, dans la palette, enfin, infiniment colorée du noir et blanc. l’improvisation opère dans les solutions que Walter Schmid a dû nécessairement adopter en cours de réalisation. Le reste est une affaire de geste. Jacques Berthet qui l’a photographié en train de peindre convoque l’image de l’escrimeur pour décrire son attitude face au sujet. Un geste porteur pour défier le mur. Un geste triomphateur dans l’énergie qu’il déploie. Un geste vainqueur de l’apesanteur.

Pour ce chantier, Walter Schmid a métamorphosé son énergie habituelle toute de défense, d’indignation, en douce ardeur. Car ce qu’il a vu au bord du lac de Der, très bruyant rendezvous des grues cendrées en Champagne-Ardenne dans le nord de la France, point de convergence des flux migratoires, l’a profondément ému. Et tel Nicolas Bouvier qui laissait infiniment descendre ses mots en lui jusqu’à ce qu’ils aient atteint la résonance juste, le peintre a laissé filer les années, le temps que l’émotion de son coeur gagne ses mains, pour la restituer. Il dit: «II a fallu huit à dix ans d’incubation pour une raison très simple. Ce que je voulais peindre au-delà des grues c’est leur mouvement. C’est un mouvement fait de légèreté et d’élégance.
Or ma peinture c’est pas du tout ça. Moi je peins des kalachnikovs, des couteaux, des boxeurs, des machines de chantier, des prisons, des enclumes.»

Peindre la légèreté? Pour relever le défi, il s’est envolé sur cette suite de murs, ce champ inespéré, cette vaste partition libératrice. S’il était musicien, Walter Schmid aurait écrit un opéra. Devenu grue, emporté par une énergie qui l’a surpris, grisé par ce rendez-vous avec la vie, il a tout donné avant de redescendre. Et la satisfaction l’emporte. la musicalité des formes triomphe.

«La dimension, le format, fait partie intégrante de mon approche picturale. Elle implique un geste dans lequel je suis à l’aise et qui m’est nécessaire. Pour moi, il y a toute une chorégraphie. Je n’ai pas toujours peint comme ça. Il y a eu une lente progression. le noir et blanc s’est imposé en 2007. la couleur s’en est allée petit à petit. J’ai peint en camaïeu et j’ai appris à maîtriser le noir pour en sortir des couleurs. Il y a beaucoup de bistre ici. C’est une technique, je travaille toujours de manière fluide. J’utilise beaucoup d’eau d’où les giclures.»
Elles font partie de l’oeuvre. la texture de la peinture, les nombreux glacis qu’il utilise créent une épaisseur et bombe les plumes. Nous voici dans un cadeau sans ficelles à tire-d’aile.

Michel Rime

Walter Schmid
Le grand envol

Exposition du 15 septembre au 15 octobre 2022
andata.ritorno
laboratoire d’art contemporain
37, rue du Stand
1204 Genève

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