Le son chaud du doudouk vient souffler sur le Léman

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Lévon Minassian.

Quand une musicienne genevoise invite une autre musicienne à écouter une musique jusque là inconnue, cela peut bouleverser la vie. L’aventure est arrivée à Michèle Lubicz-Davet, enseignante de flûte à bec à Genève, qui fut frappée par le son du doudouk qui accompagne  les chants arméniens. Depuis, elle a rencontré et suivi les cours du maître Lévon Minassian au point d’être intégrée régulièrement dans son orchestre qui se produira le 29 mai à Thonon-les-Bains.
Le doudouk, inscrit patrimoine culturel immatériel de l’humanité

par Michèle Lubicz-Davet

Instrument ancestral, le doudouk est devenu l’emblème identitaire de la musique traditionnelle arménienne dans le monde entier, ceci grâce au talent et à la notoriété d’artistes tel que Lévon Minassian, premier musicien de diaspora, sacré Maître du doudouk en Arménie même et l’un des meilleurs joueurs de doudouk au monde. La musique de Lévon Minassian inscrit son message de fraternité dans la richesse des musiques du monde.

Le doudouk est un instrument remontant à 3500-4000 ans. Flûte cylindrique de quelques 30 cm, en bois d’abricotier sauvage, le doudouk est percé de 8 trous, plus un en-dessous. Il est muni d’une anche double en roseau aplatie à l’extrémité et creuse, appelée « ghamich », cerclé par une bague d’accordage afin d’ajuster la note.

Le  son du doudouk est grave, profond et plaintif, doux et velouté, il est sans conteste l’un des instruments les plus répandus en Arménie; le plus souvent joué par deux musiciens dont l’un d’eux crée le fond musical en tenant un bourdon continu en respiration circulaire (dam) tandis que l’autre musicien développe des mélodies et des improvisations.

En 2005, l’Unesco proclame « Le doudouk et sa musique » au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. « Le patrimoine immatériel est une passerelle à la mémoire vivante des peuples » a déclaré le Directeur général de l’UNESCO, Irina Bokova.

 

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Lévon Minassian

Lévon Minassian marche sur les traces de Komitas qui présentait en dehors de l’Arménie les chants recueillis autour de l’Ararat. Lévon Minassian répand par sa musique l’âme arménienne dans les salles et sur les écrans des cinq continents et fait ainsi de la musique arménienne l’un des dénominateurs communs de l’humanité. Lévon Minassian, par son jeu, compose entre l’Orient et l’Occident mais aussi entre le souvenir du passé et la construction de l’avenir.

Né à Marseille, dans le quartier de Saint-Jérôme, où ses grand-parents trouvèrent jadis refuge, entouré d’une famille vivant dans le culte de la musique et baignant communauté arménienne très soudée et friande de sons, il commence très jeune à jouer de la mandoline dans un groupe folklorique. A l’âge de 15 ans, avec entre les mains un doudouk ramené d’Arménie par ses parents, il leur annonce qu’il désire apprendre à en jouer. Commence alors un long apprentissage.

Adolescent, accompagné de sa famille, Lévon Minassian accompagne les artistes arméniens dans leurs tournées en France. Il les poursuit jusque dans leurs hôtels pour grappiller quelques informations, car pénétrer le milieu de ces artistes n’était pas chose facile, se souvient-il , les joueurs de doudouk maintiennent dans le secret cette tradition ancestrale qui ne se transmet qu’entre initiés et avec parcimonie. C’est alors avec beaucoup d’abnégation et de patience, et par amour pour cet instrument qu’il cherchera par ses propres moyens à en maîtriser toutes les subtilités.Depuis, cet artiste a travaillé sans cesse. Et petit à petit, celui qui n’a jamais recherché la célébrité sera reconnu comme un des plus talentueux joueurs de doudouk au monde.

Sa détermination et son talent le font repérer par des professionnels. En 1985, le compositeur Georges Garvarentz le sollicite pour la musique du film Les mémoires tatouées. Une première collaboration pour le cinéma qui va être suivie de beaucoup d’autres, dont les bandes originales de Mayrig et 588 rue Paradis de Henri Verneuil, L’Odyssée de l’Espèce de Yvan Cassar, Amen de Costa Gavras, La passion du Christ de Mel Gibson, L’enfant endormi de Yasmine Kassari, La terre vue du ciel et Home de Yann Arthus-Bertrand,Va, vis et deviens de Radu Mihaileanu, La jeune fille et les loups de Gilles Legrand, Comme les 5 doigts de la main et Ce que le jour doit à la nuit, de Alexandre Arcady, La source des femmes de Radu Mihaileanu, Inch’Allah de Anaïs Barbeau-Lavalette.

Derrière l’homme, humble et généreux, apparaît un musicien hors-pair, que d’aucuns qualifient de génie, dont les mélodies mélancoliques sont désormais omniprésentes tant sur le petit écran qu’au cinéma. Mais un événement incroyable, surtout, a changé sa vie : en 1992, Lévon Minassian est sollicité par Peter Gabriel pour participer à son album Us puis pour ouvrir en solo les concerts de sa tournée mondiale Secret world live tour. Un coup de projecteur qui va faire de lui un doudouguiste très prisé des grands noms de la variété (Charles Aznavour, Patrick Fiori, Hélène Segara, Christophe Maé, Daniel Lavoie) ainsi que des personnalités de la world music (Sting, I Muvrini, Simon Emerson, Manu Katché).

Parallèlement, Lévon Minassian entreprend un travail plus personnel avec le compositeur de danses et musiques de film Armand Amar, remarqué depuis pour ses B.O de films (Amen, Le Couperet, La terre vue du ciel, Vas vis et deviens, Indigènes…) C’est avec lui qu’en 1998 il grave son premier album, Lévon Minassian and Friends, puis en 2005, son deuxième opus, Songs from a world apart.

En 1997, il joue à l’Elysée, invité en tant que soliste par le président de la République Jacques Chirac lors de la visite du président Arménien Lévon Ter Pétrossian. En 2003, il est décoré Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le président Chirac.

La musique que nous livre Levon Minassian n’appartient plus à ce que l’on appelle le folklore, musée des âmes mortes et ressuscitées, ni à un espace géographique délimité qu’on appelle un pays, mais à cette sphère hors du temps et de la durée, où l’âme a besoin de se prolonger pour découvrir qu’elle en a encore une.

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Michèle Lubicz-Davet

Le Murmure des vents

Suite à sa collaboration avec Peter Gabriel Lévon Minassian a contribué à ce que le doudouk s’inscrive dans les valeurs culturelles universelles mêlant aux autres instruments du monde ses influences arméniennes. Ainsi a été créé le Murmure des Vents, formation originale rassemblant autour du doudouk de 9 à 14 artistes de talents, avec des instruments tels que le kamantcha, le kanon, le oud, mais également des instruments polyphoniques qui, tour à tour, le soutiennent dont une guitare flamenco, un clavier, un piano à queue, une chanteuse, ainsi qu’une récitante, faisant ainsi se rencontrer et fusionner la musique et la poésie. Comme pour dire que l’esprit qui est né autour d’une montagne sacrée il y a 3000 ans et qui s’exprime par cette simple flûte en bois d’abricotier, est porté par tous les instruments qui sont nés dans les siècles qui ont suivi et qui ont manifesté, chacun par son timbre, les infinies variantes de l’âme humaine. Ils sont porteurs de la richesse des cultures, de leurs influences communes et de leurs interactions, passées de génération en génération, tissant ainsi des liens étroits entre les peuples à travers l’histoire.

Lévon et ses musiciens nous invitent au voyage, à la découverte d’un monde à la fois intime et généreux, au son du doudouk dont le souffle envoûtant transporte les coeurs et les âmes sur les plateaux d’Arménie où murmure le vent des hautes plaines. Un moment unique où le spectateur est convié à faire abstraction du temps et de l’espace pour se mettre à l’écoute et se laisser porter par la magie du spectacle.

Michèle Lubicz-Davet

Site internet : www.levonminassian.com

Concert exceptionnel LEVON MINASSIAN
« Le Murmure des Vents »
Thonon-les-Bains ¦ Théâtre Maurice Novarina ¦ Vendredi 29 mai ¦ 20h30
Information/Billetterie : 0033 450 71 39 47

Lire également :
– Le doudouk est passé en deux décennies du statut d’obscur instrument folklorique à celui de coqueluche d’Hollywood. Le Monde, 2012.
– Lévon Minassian et son «duduk» dans le vent. Libération, 2014.

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