Florentina Holzinger & Marta Ziółek.
La manifestation qui se fixe pour objectif d’explorer les nouvelles pratiques culturelles se tient à Lausanne les 6-7-8 décembre. Entretien avec Patrick de Rham, directeur des Urbaines 2013.
Patrick de Rham, quel est le ton de de cette 17e édition des Urbaines ?
Une démarche en arts visuels assez importante sera montrée dans l’immense espace de l’ancienne halle CFF où se trouvera le futur musée des beaux-arts, une trentaine d’artistes s’y produiront, c’est donc un gros projet commissionné par Chri Frautschi, un curateur de Bienne très connecté avec les réseaux d’espaces des arts alternatifs en Suisse allemande. Chri Frautschi a programmé un réseau de réseaux en invitant des curateurs invités qui invitent d’autres curateurs invités qui invitent des artistes, c’est une expérience intéressante car jusqu’ici on a eu des programmations plus précises tandis que là on réalise une démarche générale qui sera certainement plus hétéroclite et représentative de cette scène alternative.
Est-ce qu’un secteur, danse, théâtre ou musique, se taille la part du lion dans le budget des Urbaines ?
On partage le budget de manière assez drastique et au début je fixe des règles claires, c’est 1/3, 1/3, 1/3. Ce qui est plus difficile est de classer les gens dans les catégories car maintenant il y a pas mal d’artistes qui sont entre deux, le curateur en art visuel peut tout à coup programmer des performances, mais, pour moi, plus perméable plus j’apprécie car il faut tenter de travailler tous les champs.
Travaillez-vous en collaboration avec d’autres lieux ?
Pour les arts visuels, la démarche de cette année est particulière, il y a au départ la volonté d’inviter des gens qui tiennent des lieux un peu spéciaux, par exemple Chri Frautschi a invité le collectif Rodynam qui s’occupe de la Minoterie à Orbe, c’est un espace désaffecté, post industriel en mauvais état. Avec « Hot Jam » comme Leitmotiv, l’exposition entend porter une réflexion sur les activités, processus collectifs et esprit indépendant des espaces d’art autogérés, à travers plus d’une trentaine de propositions artistiques, accompagnées de happenings et performances tout au long des trois jours du festival.
Sobarzo. Performance. Arsenic. Vendredi 6 et samedi 7.
Plusieurs artistes présentés cette année proposent des expériences immersives, est-ce un choix qui tend à suivre une tendance actuelle ?
Je ne sais pas si on peut appliquer ce raisonnement à Audrey Cavelius et Anne Sylvie Henchoz, dans le sens ou ce sont des univers immersifs mais elles ont des règles assez disciplinées, ce ne sont pas des univers qui visuellement incitent à la rêverie. Sobarzo est par contre dans un univers très ouvert où le spectateur se fait ses propres images ; on a eu beaucoup de propositions de ce style et je pense qu’effectivement c’est une tendance actuelle qui se retrouve aux Urbaines, mais nous ne voulons pas en faire un leitmotiv. Je pense que cette année aux Urbaines, c’est plutôt un retour de choses assez provocantes, sexuellement explicites, frontales, et le résultat de notre programmation nous étonne de ce côté là.
Audrey Cavelius. Abymes: Dispositions d’esprit & Autoportraits. Arsenic. Vendredi 6 et samedi 7.
Si je réalise une grande partie de la programmation en arts vivants, il s’agit quand même d’une discussion collective, l’idée n’est pas au départ de décider d’une tendance, l’idée est plutôt de nous poser des questions individuelles sur les projets qui nous excitent maintenant, aujourd’hui, en 2013, et d’observer le panorama à la fin, il n’y a pas et il n’y a jamais eu aux Urbaines de thème curatorial précis comme il y en aurait dans une biennale ou des festivals qui proposent une réflexion autour d’une forme particulière. Nous sommes plus des observateurs et notre thématique est celle de l’émergence des nouvelles idées, des nouveaux mouvements, ou la réémergence d’anciennes idées, nous essayons d’observer ce moment là, ce moment où les artistes arrivent à maturité et commencent tout d’un coup à faire parler d’eux ou ont une démarche qui commence à être remarquée ; c’est ce que notre coloration brasse et elle tente de donner corps à cette chose qui est assez gazeuse au départ, ce sont des molécules que l’on essaie de faire cristalliser durant l’événement.
Comment se fait-il que dans les arts visuels les artistes soient en très grande majorité suisses ou habitant dans ce pays tandis que dans la musique c’est l’inverse ?
Cette année la démarche dans les arts visuels est assez spéciale, elle se situe autour des artistes suisses car les artistes ont été invités par des réseaux qui sont principalement suisses, généralement on essaie d’avoir un équilibre, mais c’est vrai qu’en ce qui concerne la musique je n’ai pas remarqué sur la scène suisse ces dernières années des choses assez nouvelles qui pourraient alimenter nos coups de cœur régionaux sur cette édition.
En regardant la programmation de cette année, on est par exemple étonné de trouver beaucoup de Hollandais, je ne sais si c’est représentatif de quelque chose mais ce sont des cycles d’innovation, il y a toujours des scènes qui émergent et, malgré la mondialisation, elles sont quand même centrées autour de certaines régions.
Les Urbaines se présentent comme une plateforme de découverte, avec des projets conçus pour l’occasion, cela signifie-t-il que les projets ne doivent pas avoir été vus ailleurs auparavant ?
Cela signifie que nous n’avons pas d’exigence de création, mais que l’on a une exigence de découverte par le public, ce n’est pas aussi strict, c’est à dire que ce sont des projets qui ne sont pas venus en Suisse romande ou à Lausanne, mais l’idée est d’offrir à la scène régionale quelque chose de différent, d’occuper une place spéciale dans la politique culturelle et d’amener du nouveau, de l’air frais, donc on s’interdit les gens déjà visibles sur le territoire.
Ce qui vous conduit à sélectionner des artistes plus jeunes ou émergents ?
Ce qui nous amène à avoir plutôt des artistes jeunes mais ce n’est pas non plus un critère, souvent les artistes porteurs de nouvelles esthétiques sont plutôt des artistes émergents, dans le premier tiers de leur carrière, ceci pris dans une acceptation d’esthétique émergente et non d’âge.
Comment faut-il comprendre la déclaration provocante de Marc Papich « Il est bien clair que la musique touche à sa fin »
C’est bien sûr une provocation de la part d’un musicien, mais je pense que le monde de la musique a été totalement phagocyté par l’industrie musicale et il y a de la musique absolument partout, on nous vend des salades en musique et en même temps on va à l’opéra, on est donc peut-être à un moment où un certain nombre d’artistes se posent la question de la nécessité du rafraichissement de la notion de concert et de la notion de musique en détournant par exemple la performance du concert ou en suivant des démarches musicales dont l’essentiel n’est pas dans le son produit.
Qu’est ce que l’anti pop contemporaine face au trop plein émotionnel dont parle James Donadio ?
Prostitutes, c’est le musicien James Donadio, il vient du rock et a épuré sa démarche de manière impressionnante et il concilie des sons assez distordus qui pourraient évoquer une musique d’impact maximum avec une économie de moyens qui contredit complètement le type de sons qu’il utilise.
Prostitutes. James Donadio. Concert. Le Romandie. Samedi 7 décembre.
Êtes-vous vous-même artiste ?
Non, pas du tout, je suis un passeur.
Comment s’organisent les Urbaines qui est un festival gratuit ?
C’est impressionnant que ce soit gratuit, mais le modèle économique ne change pas beaucoup. La Ville et la Loterie romande sont les principaux soutiens, après il y a le Canton, des fondations privées, Pro Helvetia, etc. Si l’on regarde d’autres festivals, ou les théâtres, l’argent du public ne représente qu’une petite partie du budget, l’essentiel vient du financement public.
Si ce n’était pas gratuit, on perdrait l’avantage décisif de l’idée d’expérimentation ; nous n’avons pas ainsi à fournir au public quelque chose pour lequel il aurait payé et attendrait un retour. On a cette sorte de contrat avec le public, comme quoi on fait l’expérience ensemble et s’il n’aime pas ce n’est pas grave, c’est une démarche qui met tout le monde à l’aise car dès qu’on paie on choisit, on a envie que ce soit bien, on cherche des garanties comme par exemple des stars. Tous kes festivals font venir des têtes d’affiche pour attirer le public, même les festivals expérimentaux ont des têtes d’affiche de l’underground ou de l’expérimental, aux Urbaines nous n’avons absolument pas cela et c’est une formule qui, étonnamment, marche vraiment très bien ; je m’étonne qu’elle ne soit pas plus reprise car, à ma connaissance elle est à peu près unique.
Cette gratuité n’est toutefois pas une invention particulière, c’était dans le mandat octroyé par la Ville, par contre nous avons décidé de profiter de cette gratuité pour faire des choses qui n’apparaissent pas dans le paysage culturel lausannois le reste de l’année.
Copains Sauvages. Dimanche 8 décembre de 16:30 à 18:00: finissage de l’exposition au Futur Pôle muséal avec DJ set de Copains Sauvages
Combien de spectateurs ou de visiteurs viennent aux Urbaines ?
De visiteurs je ne sais pas, mais de visites, c’est à dire de gens qui viennent assister à un spectacle, à une expo, c’est autour de 7’000 dont une grosse proportion viennent de Suisse romande et une petite partie de l’étranger.
L’événementiel semble attirer plus de festivaliers que les lieux de spectacle en cours d’année, est-ce une tendance qui s’amplifie ?
Je ne crois pas que cela s’amplifie, je constate que les théâtres de l’arc lémanique marchent bien, si l’on fit référence au livre de Pius Knüsel, il y a un mouvement qui prétend que les salles sont vides, mais ce n’est pas mon expérience personnelle, il faut souvent réserver pour les spectacles et il y a du monde aux expos, tout au moins pour la scène romande, je n’ai pas l’impression que l’offre événementielle se fasse au détriment des salles, je crois plutôt que nous sommes complémentaires et que plus il y a de culture, plus les gens s’intéressent à des expressions artistiques. Par contre ce qui peut-être intéressant avec les Urbaines est que le festival incite une population qui a une consommation culturelle assez basse à venir, donc un festival gratuit remplit aussi cette fonction de médiation qui fait venir les gens en espérant qu’ils reviendront au festival et dans les autres lieux.
L’événementiel ne distrait-il pas une part importante du budget dédié à la culture ?
Non, je ne pense pas, le budget du Festival de la Cité est légèrement supérieur à 1 million, celui total des Urbaines est de 350’000 francs, dont 105’000 de la Ville, donc on ne peut pas dire que la Ville fasse d’énormes investissements dans l’événementiel au détriment des institutions.
Les conditions d’hébergement dans la région permettent-elles à un public jeune et pas spécialement argenté venant de plus loin de suivre le festival ?
Non, c’est un problème, nous avons par exemple nous avons toute une classe d’étudiant en art de Besançon qui annoncent leur participation au festival, amis pour eux le prix du séjour peut être rédhibitoire. Il n’y a pas de logement bon marché et c’est le lot de toutes les manifestations culturelles en Suisse.
Florentina Holzinger & Marta Ziółek, à l’Arsenic, samedi 7 et dimanche 8.
Comment fonctionne la direction des Urbaines, dépend-elle d’un mandat délimité dans le temps ?
Il s’agit d’un mandat reconductible chaque année, qui n’est pas âprement discuté chaque année car il y a une certaine confiance, mais le conseil de fondation est libre d’y mettre fin quand bon lui semble.
Depuis combien de temps êtes-vous aux commandes ?
Je suis là depuis sept ans et je pense être encore là quelques années car je ne pense pas que la direction des Urbaines restera quinze ans dans les mêmes mains. Après, pour faire écho au débat assez genevois que j’ai suivi à propos de la Bâtie, sans vouloir m’exprimer sur la direction actuelle, je pense qu’il faut quand même un certain temps pour instituer quelque chose, je ne suis donc pas choqué que dans certaines institutions les directions restent pour une période plus longue. Cependant, aux urbaines, pour suivre l’émergence je pense qu’il faut renouveler le réseau relativement souvent. Ici, au bout de sept ans, j’ai l’impression d’avoir vraiment construit quelque chose, mais cela a pris sept ans. La méthode, le réseau, l’assise du festival – financière, reconnaissance – est différente aujourd’hui, et si je n’avais pas eu sept ans, je pense que je n’y serais pas arrivé aussi bien.
Comment évitez-vous le phénomène de vieillissement à ce poste ?
Dés le départ, je me suis entouré de co-curateurs qui changent régulièrement et qui en règle générale sont plus jeune que moi. L’idée est donc de renouveler la dynamique interne au fur et à mesure, justement pour éviter qu’un public, des artistes et une direction vieillissent ensemble.
Propos recueillis le 27 novembre 2013.
Après avoir occupé les cinq étages de l’Espace Arlaud deux années durant, Les Urbaines investissent cette année le Futur Pôle Muséal – anciennes halles aux locomotives CFF comme espace d’art central des arts visuels et lieu de vernissage.
L’Arsenic fraîchement rénové, Théâtre Sévelin 36 ainsi que la Datcha accueillent les arts vivants, créations aux référentiels et aux formats souvent inhabituels.
La musique tient elle aussi une place de choix avec des propositions artistiques sortant fréquemment des sentiers battus, explorer les franges des styles musicaux, interrogeant les normes dans les salles du Romandie, du Bourg, de la Datcha et du mudac.
Les Urbaines. 6-7-8 décembre. Lausanne.