5 août, Marilyn Monroe, 6 août, Andy Warhol, les anniversaires, respectivement disparition et naissance, des deux vedettes indissociables du Pop art se suivent. Indissociables, car c’est en liant son travail à l’image des starset à la mode que dans les années 60 Andy Warhol a popularisé le mouvement artistique né sous l’impulsion du britannique Richard Hamilton, en 1955, en Grande-Bretagne. Andy Warhol est désormais un artiste consacré et volontairement ultra récupéré par le marché et les institutions, ce qui constitue une hérésie si l’on considère la volonté initiale d’un art pour tous qui animait l’artiste. Double jeu donc.
A l’époque des utopies des années 60, de la libéralisation sexuelle, de la culture underground, la musique et le cinéma allaient permettre la diffusion d’une culture de masse hors des circuits de la haute culture.
L’idée de l’art pour tous suivait son chemin des deux cotés de l’Atlantique, sur le vieux continent avec Mallarmé qui, en 1862, a reconsidéré la distance importante qui sépare le goût du grand public de celui des intellectuels, il s’est interrogé sur le rôle de la création artistique et celui de l’artiste dans la société pour nier la popularité des grands auteurs :
« Vous penserez à Corneille, à Molière, à Racine, qui sont populaires et glorieux ? — Non, ils ne sont pas populaires : leur nom peut-être, leurs vers, cela est faux. La foule les a lus une fois, je le confesse, sans les comprendre. Mais qui les relit ? Les artistes seuls. »(1)
Afin que son art puisse passer dans la culture de masse, l’écrivain a fondé, en 1874, son propre magazine de mode “La dernière mode, gazette du monde et de la famille” dont il rédigeait le contenu dans un style accessible à tous alors qu’il aurait pu s’enfermer dans la tour d’ivoire du monde professionnel élitaire. Ce « double goût » propre à Mallarmé représentait un schisme délibéré de sa personnalité. C’est ainsi que le poète humaniste a enfin réalisé son propre dédoublement artistique afin que son art puisse également passer dans la culture de masse.
Aux Etats-Unis, le philosophe John Dewey (1859-1952) estimait que la société moderne avait ménagé et entretenait une distance entre l’art et les hommes en prenant ses distances avec l’expérience de la vie quotidienne.
« Des objets qui, dans le passé, étaient valables et plein de sens du fait de leur place dans la vie d’une communauté fonctionnent maintenant isolés des conditions de leur origine » (2)
Cette distanciation a entraîné la sacralisation de l’expérience esthétique par la hiérarchisation effectuée entre l’art institutionnalisé et l’expérience esthétique dans le quotidien. La capacité d’avoir une expérience esthétique a été esthétisée au point de devenir l’exclusivité des experts, ce qui ne pouvait convenir à un Warhol animé par l’idée d’égalité démocratique de rendre l’art accessible à tous. Pour bousculer l’ordre culturel établi et favoriser la circulation de la culture de masse, il a utilisé la musique en produisant le groupe de rock lié à la Factory : le Velvet Underground. Au début du XXIe siècle, c’est YouTube qui joue le rôle de diffuseur de l’art de masse car les premières sources d’écoute de la musique chez les jeunes sont : YouTube (64%), la radio (56%), iTunes (53%) et les CDs (50%) (source Institut Nielsen, août 2012).
Andy Warhol – Exploding Plastic Inevitable
Souvent considéré, et surtout en Europe, comme dangereux et subversif, Andy Warhol a surtout posé des questions et principalement celle-ci : Quand est-ce de l’art, quand n’en est-ce pas ? Son but était d’esthétiser la vie elle-même, faire de l’existence une oeuvre d’art ininterrompue. Une nécessité que Gilles Deleuze résumait ainsi en 1968: « Il n’y a pas d’autre problème esthétique que celui de l’insertion de l’art dans la vie quotidienne. Plus notre vie quotidienne apparaît standardisée, stéréotypée, soumise à la reproduction accélérée d’objets de consommation, plus l’art doit s’y attacher. (3)»
Jacques Magnol & Yi-hua Wu
(1) Stéphane Mallarmé, Hérésies artistiques. L’Art Pour Tous. 1862.
(2) John Dewey, Art as Experience, 1934.
(3) Gilles Deleuze, Différence et répétition. 1969.
Note : Andy Warhol est né en 1928 à Pittsburgh, de parents tchécoslovaques émigrés aux Etats-Unis. Il obtient un diplôme au Carnegie Institute of Technology de Pittsburgh en 1949. Il se rend ensuite à New York, où il trouve du travail comme dessinateur publicitaire et de mode à la revue «Glamour». En 1957, il reçoit le Prix de l’Art Directors Club Medal; il commence alors à exposer des dessins et des lithographies à New York. Au début des années soixante, Warhol s’inspire des images typiques de la publicité et en général des médias. Les premières ceuvres «pop» sont peintes sur toile et reproduisent des séries toujours égales du même sujet, comme les fameuses boîtes de soupe Campbell qui seront exposées pour la première fois à Los Angeles en 1962. Durant cette période, il réalise les portraits de Marilyn Monroe quelques jours après le suicide de l’actrice. C’est à ce moment que survient le grand succès dans le domaine artistique. Warhol travaille en équipe dans un loft avec un groupe d’amis, la Factory, réalisant ensemble un grand nombre de sérigraphies sur toile, où il reproduit des images extraites de journaux et de revues: des portraits de vedettes du cinéma et du rock, de célèbres criminels, des accidents de la route ou de grandes fleurs, avant de proposer, en 1964, les cubes de bois qui reproduisent les boîtes de brosses Brillo. A partir de 1963, Andy Warhol s’oriente vers le cinéma et produira une soixantaine de films, tous en noir et blanc et réalisés selon une technique élémentaire: c’est-à-dire avec la caméra fixée sur une scène unique ou une image unique. «Sleep», par exemple, représente un jeune homme qui dort, et dure six heures; «Empire» reproduit pendant huit heures de suite l’Empire State Building. En 1972, il revient à la peinture et au dessin, en réalisant de nombreux portraits sur commission, un peintre de cour en somme. Andy Warhol est mort à New York, le 22 février 1987.