Danse contemporaine: La preuve par trois

3 Solos

L’adc a proposé à  Tamara Bacci de choisir trois chorégraphes qui, chacun, lui créent un solo sur mesure.

Interprète au Ballet Béjart Lausanne, puis chez les chorégraphes Foofwa d’Imobilité, Cindy Van Acker (“Kernel”, “Pneuma 02 :05”, “Fractie”) et Gilles Jobin (“The Moebius Strip”) notamment, la danseuse d’origine italienne Tamara Bacci, a passé commande de trois soli après des chorégraphes Ken Ossola, Cindy van Acker et Juan Dominguez. Leur interprétation successive au fil d’une soirée de haute tenue exige beaucoup de leur unique interprète. Cette réalisation part favori te pour la sélection aux Journées de danse contemporaine suisse qui se tiennent en 2009 à  Lausanne. Interview par Bertrand Tappolet:

Griffé Ken Ossola, “Phase“, le premier de ces seules en scène, subvertit doucement la grammaire du néo-classique. Sur un podium, l’interprète vêtue d’un ensemble de noir satin prend la pose à  la manière des top modèles. Sensation donc de retrouver l’atmosphère du “Voguing” (popularisée par Madonna dans l’un de ses clips, “Vogue“), cette danse issue des ghettos gay, black et latino de New York dans les années 80, et qui mélangeait sapes de grands couturiers, défilés façon catwalk et poses empruntées aux photos de mode. Mouvements et attitudes rigides, angulaires, d’un maintien parfait, féminins et rigoureux. Une danse parfois proche de la tecktonik. Il y a aussi en Tamara Bacci dans cette ouverture de solo, cette morgue parfois un brin dédaigneuse des mannequins de Helmut Newton, lors de shootings ou de défilés des années 50 à  nos jours. Circonscrite dans un espace contraint et surélevé, elle déstructure son corps strate par strate, vacillant sur es talons mi-longs, avant de se couler au sol, dans un déséquilibre à  mi corps entre le tragique et le burlesque. Les mouvements se font alors félins, fluide à  l’extrême découvrant une sauvagerie et une liberté que l’on ne soupçonnait pas.

Pour “Obvie“, la chorégraphe d’origine flamande Cindy Van Acker a conçu pour les contreforts corporels de Bacci où la grâce le dispute à  l’exactitude une partition aussi mathématique que méditative. Neuf mouvements avec leurs modulations de vélocité forment ainsi dix-huit phrases qui sous-tendent une logique voulue évolutive. Habillée de bleu, la danseuse se jette comme à  l’eau, glisse furtive à  la surface d’un tapis de sol blanc immaculé avent de s’enfoncer doucement dans une grammaire tissée de stations successives, jambes en ciseaux, corps d’équerre, qui mêlent sentiment de lâcher prise et concentration intérieure. Comme une prière adressée entre deux-eaux.

Juan Dominguez fait le choix dans “Don’t Even Think About It” de voir son interprète exécuter une série d’actions liée à  des verbes de mouvement qu’accompagne en décalage de Tamara Bacci revêtue d’un jogging rouge et chaussée de baskets. Aux codes couleurs associés aux mouvements, succède un déphasage entre les actions annoncées (cent vingt pas à  gauche) et la réalité d’un déplacement minimal dessiné par un seul pas de côté. Humour en creux, déformation du visage grâce à  un morphing naturel, qui voit l’artiste distendre la peau de son visage d’une prodigieuse élasticité : tout forme une gradation dans l’étrange au cà“ur d’une simple proposition bien plus complexe que ne le laisse entrevoir un premier regard distrait.
Bertrand Tappolet

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