La nouvelle fixation du prix des zones agricoles déclassées favorisera-t-elle la construction de logements ?

Barres d'immeubles en campagne

Photo : geneveactive.ch

Le Conseil d’Etat a adopté le mercredi 3 octobre 2007 un projet de loi visant à  taxer les plus-values réalisées grâce au déclassement en zone à  bâtir ou en zone de développement de terrains inconstructibles. Le projet de loi prévoit également le versement d’indemnités aux propriétaires touchés par une mesure d’aménagement du territoire équivalant à  une expropriation matérielle.
Après les explications du conseiller d’Etat Mark Muller nous avons soumis quelques questions à  l’avis de spécialistes.

Le prix précédent qui était de 100 francs/m2 dans la zone agricole n’était pas suffisamment attractif pour inciter les propriétaires à  vendre (dans la zone villa, il est de 1000 francs/m2 plus le prix de la valeur à  neuf des constructions). Ce projet de loi s’inscrit dans l’objectif prioritaire du Conseil d’Etat consistant à  favoriser la construction de logements. Par ces mesures, il entend à  la fois encourager la mise à  disposition de terrains constructibles et permettre la réalisation de logements à  loyers modestes.

Par ailleurs, le département des constructions et des technologies de l’information (DCTI) a fixé à  450 francs le prix de référence du mètre carré de surface de plancher construit sur du terrain agricole déclassé en zone à  bâtir. Ainsi, dans le périmètre des Vergers à  Meyrin où la densité du projet est de 0.79, le prix du terrain sera de 355 francs/m2. Dans le périmètre de la Chapelle-Les Sciers, sur les communes de Plan-les-Ouates et de Lancy, où la densité prévue est de 0.76, le prix du terrain sera de 342 francs/m2.

Les questions qui peuvent être posées :
– Le prix retenu et son mode de calcul par mètre de carré de surface de plancher construit ne convainc pas les spécialistes qui l’estiment soit trop élevé pour permettre la construction de logements bon marché, soit incitateur à  un étalement alors qu’un effet de densification est recherché.
Nous avons interrogé le conseiller d’Etat Mark Muller qui fit remarquer que le prix du terrain ne représente en moyenne que le 15% du coût d’un projet, donc sans grand impact. Mark Muller ajouta que le milieu des propriétaires approuvait les décisions envisagées, de même que les opposants potentiels car le projet n’est « qu’un « copié-collé » d’un projet socialiste antérieur ».

– Le « surcoût »imposé par le respect des prescriptions dans le cadre d’un développement durable serait de l’ordre de 10%. Le surcoût annoncé relève-t-il d’une sorte de « criminalisation » de ces prescriptions?

Commentaire de Marcellin Barthassat, architecte à  Carouge : « On ne peut dissocier le coût de la construction du coût écologique, du coût social et du coût de la santé. Une fenêtre en plastique est certes moins chère qu’une fenêtre en chêne ou en mélèze, par exemple, mais la différence est que pour fabriquer du plastique il faut plus d’énergie (dite grise) et de surcroît dépendant du pétrole. L’économie de moyen devrait être le corollaire de l’écologie car dans toute mise en oeuvre il faut prendre en compte la provenance des matériaux, leurs fabrications et leurs impacts sur l’environnement, voir sur la santé. L’application d’une écologie de la construction nécessite un travail de projet plus important que les standards habituels… L’orientation des bâtiment (lumière et solaire passif), leurs profondeurs (cà“fficient de surface d’enveloppe), le choix des matériaux, la qualité du plan, etc. Autant d’éléments qui nécessitent d’être pensés et retravaillés sans cesse. Il s’agit de tendre à  un projet en constante progression, allant d’une bonne organisation spatiale à  une gestion de l’énergie durable en passant par une insertion urbaine de qualité. Pour toutes ces raisons, et certainement bien d’autres encore, il n’y a pas de « surcoût » due à  à  l’application des critères du développement durable mais bien d’un « investissement » rendu nécessaire aujourd’hui face à  la crise écologique. L’acte de bâtir doit intégrer ces investissements dont les retours seront profitables et bénéfiques pour l’environnement et les générations humaines qui nous suivent. » Marcellin Barthassat, architecte à  Carouge.

– Lors d’une conférence dans la série « Visions pour Genève » organisée par la Fondation Braillard Architectes le sujet tabou de la possibilité d’expropriations dans le cadre d’une révision du droit de propriété fut abordé. Pour Pierre Chappuis, urbaniste – Chef de projet du plan directeur communal, « cette mesure extrême risque de provoquer de fortes levées de bouclier. La pratique est prévue par le cadre juridique en vigueur, mais dans un champ restreint, et finalement très peu appliquée. »

– L’affectation du produit des taxes ne produirait pas l’effet escompté, d’autres spécialistes conseillent le système de rachat de biotopes comme cela se fait en France par exemple.

Précisions sur le projet :
« Le taux retenu de la taxation de la plus-value est de 20%, soit un taux identique à  celui pratiqué par le canton de Neuchâtel.
La taxe permettra d’alimenter un fonds de compensation destiné à  financer:
• les frais d’équipement à  la charge des communes concernées par les déclassements en fonction de la capacité financière de celles-ci, soit principalement la construction d’infrastructures de quartier comme celles liées à  la petite enfance, aux activités socioculturelles ou à  celles des associations locales; il ne s’agit pas de financer les équipements rendant constructible le terrain en tant que tel (canalisations, routes, etc.);
• le fonds de compensation agricole, dont le but est de promouvoir les produits du terroir et dont les objectifs sont élargis;
• les indemnités à  verser par l’Etat.
Consultés sur le présent projet de loi, Agrigenève et le Groupement des propriétaires de biens immobiliers ruraux de la Chambre genevoise immobilière (CGI) n’ont pas émis d’opposition de principe au texte adopté, lequel tient compte de leurs remarques.

Conformément à  l’esprit de l’accord sur le logement conclu le 1er décembre 2006 entre les partenaires économiques et sociaux du logement, ces valeurs sont très nettement inférieures au prix admis pour les terrains de la zone de développement sis sur d’anciennes zones villa bâties (1000 francs/m2), les constructions étant prises en compte à  leur valeur à  neuf jusqu’à  fin 2007. »

Suite :

Un ex-haut fonctionnaire de l’agglo franco-valdo-genevoise qui désire rester anonyme nous a transmis ce commentaire:

«  450 frs feront l’affaire ?

Sans doute un certain nombre de logements verra le jour dans les toutes prochaines années, mais je doute fortement que ceci soit suffisant pour nous faire sortir de la crise du logement. Le Conseil d’Etat, doit, en effet, faire face à  trois obstacles de taille
1) l’opposition des habitants à  toute densification de leur environnement,
2) la réticence des communes à  accueillir autre chose que de riches propriétaires de villas,
3) la réticence des propriétaires de terrains ou des villas à  vendre, étant convaincus qu’ils sont assis sur une mine d’or qui s’auto alimente avec le temps. Ainsi, tout signal allant vers une augmentation du prix du terrain est interprété comme un signe de faiblesse de l’Etat. La preuve est le maigre succès de la proposition de Mark Muller re racheter des terrains en zone villa à  1000m2 en plus la valeur à  neuf de l’immeuble

Mais, le Conseil d’Etat, s’il reconnaît la gravité de la crise du logement, ne s’attaque pas aux causes de celle-ci, en procédant à  de déclassements massifs de la zone agricole, seul moyen pour casser la spéculation foncière et en simplifiant les procédures de recours

La proposition de fixer le prix du terrain agricole à  450 frs. m2 en zone agricole s’inscrit, selon dans cette politique de petits pas qui ne vont pas dans la bonne direction. Certes, le prix payé au propriétaire sera inférieur (360 frs.) et il devra payer 72 frs d’impôt : Il lui restera, malgré tout, 288 frs par m2 vendu. Si on se rappelle que les bons terrains agricoles se négocient entre 5 et 10 frs le m2 et que ceux envisagés pour la vente ne sont pas les meilleurs,
la plus value empochée est de 60 fois : aucune boulle spéculative sur les marchés financiers n’a jamais atteint ces es proportions ! Et ces fabuleuses plus-values n’iront même pas soulager les maigres revenus des paysans, parce que la grande majorité de la terre, (surtout celle déclassable) ne leur appartient pas : pour trouver les bénéficiaires il faut chercher ailleurs, la Migros, des fondations, et quelques particuliers…

Certains ont tout de suite tenté de calmer le jeu en disant que le vrai prix n’était pas de 450 frs mais environ 20% de moins. On parle, ainsi, d’une densité de 0.8, même moins. En réalité les choses sont bien différentes. Lorsqu’on construit un nouveau quartier, celui-ci ne contient pas que du logement : il faut prévoir des routes, des parcs, des écoles, etc. Ces infrastructures de toute sorte occuperont le reste du terrain et devront être aménagées par les communes.
Ces infrastructures et un bon aménagement de l’espace publique sont très importants pour faire accepter à  la population un nouveau projet et pour permettre aux nouveaux habitants une bonne qualité de vie. La presse se fait écho, ces derniers temps du mécontentement des habitants de certains nouveaux quartiers à  ce propos.
Il faut espérer que les propriétaires ne soient pas trop gourmands et ne choisissent pas les promoteurs avec une densité trop élevée et que ces derniers ne compensent pas une densité raisonnable par un empilement des bâtiments.

Dans la proposition de Mark Muller il n’est pas de tout clair si c’est le promoteur qui cède gratuitement ces terrains aux communes ou si elles doivent l’acheter. Dans le premier cas le prix du plan financier sera effectivement de 450frs le m2 et seront les locataires qui payeront, dans le deuxième se seront les communes qui casqueront.

Et le malheur des communes ne s’arête pas là . Nous avons vu que le propriétaire versera 72 frs pour m2 vendu. Cet argent est destiné à  plusieurs choses, notamment au fond de la promotion agricole. Les communes peuvent compter sur une soixantaine de francs pour l’équipement, (mais on ne sait comment sera faite la réparation entre communes), alors que les coûts estimés varient entre 80 et 120 frs le m2.

Il y a, peut-être, des gagnants. Selon l’accord sur le logement, signé par l’Etat les représentants des milieux immobiliers et le Rassemblement pour une politique sociale du logement, en zone agricole les promoteurs doivent ou construire 50% des logements sociaux ou céder gratuitement le 25% du terrain pour réaliser les fameux logements pérennes, l’équivalent des HBM actuels. Si la deuxième option était prise, nous aurions, alors, la possibilité de réaliser du logement social à  des conditions très favorables.
Mais le prix du terrain, disons libre, augmentera en conséquence de 25% pour passer donc de 450 à  562.5 frs. le m2
Il faut ajouter à  cela la taxe d’équipement de 48frs le m2 et tous les autres frais généraux (administratives, études etc.) qui peuvent facilement monter à  20% et plus du prix de base (disons 90 frs).

Si on additionne le tout, on est, donc, à  au moins à  700 frs le m2. Je ne crois pas que ceci corresponde au 15% du prix total avancé par le Conseilleur d’Etat, mais que: nous revenons aux plans financiers classiques de HLM traditionnels, que tout le monde a critiqué : pour loger une partie de la population il faudra beaucoup des subventions individuelles…

Une autre démarche aurait été possible : la solution hollandaise. Dans ce cas le terrain aurait acheté à  100 frs le m2, totalement équipé et ensuite vendu à  des prix différents selon l’affectation : logements sociaux, coopératives, privés : tout le monde s’en serait sorti mieux.
Mais pour cela il faut être porté par le vrai intérêt général… « 

Publié dans architecture et urbanisme