Illustrer ? Mais alors illustrer nos vies…

© Albertine

Alors qu’Albertine monte sur le podium pour prendre la parole les applaudissements nourris l’émeuvent, elle ne voudrait pas pleurer, elle a bien écrit un discours mais ce serait ennuyeux, elle préfère remercier celles et ceux qui l’ont accompagnée pour cette exposition au Musée de Carouge. Ensemble ils ont travaillé, ils ont ri, piqueniqué dans le jardin et entonné des chansons grivoises. Délicieux, merveilleux sont ses adjectifs.
Elle aurait aimé que son père soit encore là pour voir ça.

Albertine entourée de personnages fantasques. Photo © Magali Girardin.

Dans le musée c’est tout un théâtre. Les personnages inventés sont singuliers, chimères protéiformes empruntant au minéral, au végétal et à l’animal. C’est tout un petit peuple qu’elle anime, à chacun son allure et sa personnalité. Celui-là avec son œil au milieu de la figure fait cyclope autant que virus. C’est finalement assez proche de Kubin ou de Redon en coloré. Ces personnages, sortis des pages se groupent en silhouettes comme autant de bas-reliefs dont le volume est donné par la couleur. Une armée singulière prête à partir pour de nouvelles aventures, pour des récits à construire, des histoires à se raconter.

Les humains se déclinent entre réalisme et portraits à charge, des caractères comme chez La Bruyère, eux aussi silhouettes mais en plus grand et en noir et blanc. Albertine, en presque autoportrait, est campée dans la cour. Dedans, ce sont des amateurs, qui comme dans les gravures de Daumier tendent cous et corps vers les images.

Photo © Samuel Rubio

Ces personnages sont aussi réduits, mis en scène et en boites dans des décors simples et somptueux. Le vide, le silence, le poids des choses est palpable dans ces scénettes, rappelant dioramas et maquettes d’opéra. Tout petits encore un homme en noir contemple le paysage, un lac comme la mer de nuage par Friedrich. Le sublime est là, donné d’un bloc par le dépouillement, sans détail, par des aplats de couleur aux contours nets, presque comme des papiers découpés.

La tache prend une dimension plus métaphysique quand jaune comme un soleil d’enfance, mais en forme de nuage qui confine à la madeleine -forcement Proustienne – elle emporte l’homme au costume noir. Des petites têtes peintes, marottes ou têtes de poupées, maquillées et un rien fanées, parlent encore, mais en sourdine, du temps qui passe et de nostalgie.

Albertine dessine aussi des architectures sur pilotis au bord de l’eau, légendaires cités lacustres, immeubles Le Corbusier tout en transparence, nettes et vides aussi, belles enveloppes de notre modernité. Elle dessine encore des cabanes sans personnes mais savoureuses de détails. Formes, couleurs et motifs sont somptueux. Ces architectures relèvent autant de l’enfance que de l’urgence et du précaire.
Comment habiter le monde ? voilà la question que semble nous poser Albertine.

“Apparition” : Albertine
Musée de Carouge, du 16 septembre au 19 décembre 2021.

Albertine
Galerie Tiramisu, Carouge, jusqu’au 7 octobre 2021.

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