Festival Off d’Avignon : « Une Saison de machettes » d’après Jean Hatzfeld.

Une Saison de machettes, Théâtre le Petit Louvre, Avignon, jusqu’au 28 juillet.

Entretien avec le metteur en scène Dominique Lurcel.

Après avoir recueilli les récits des rescapés tutsis du génocide rwandais (Dans le nu de la vie), Jean Hatzfeld a fait parler les acteurs hutus du génocide. Après de longs séjours sur place, il a écouté, dans la prison où ils étaient enfermés, la plupart déjà  jugés, une bande d’amis originaires de la même région qui, comme ils disent, sont allés « au boulot » ensemble, c’est-à -dire que, pendant plusieurs semaines, chaque jour, de la même façon que l’on va cultiver son champ, ils ont systématiquement « coupé » leurs « avoisinants », avec l’idée claire de faire totalement disparaître les Tutsis. Ils se sont confiés à  l’auteur de façon complètement libre et directe sans soucis d’atténuer leur responsabilité, avec un naturel stupéfiant, y compris pour Hatzfeld. Jamais aucun « génocidaire » du siècle n’a témoigné de cette façon. C’est ce qui fait d’Une saison de machettes un livre exceptionnel, unique, d’une force sans exemple. On a là , éclairée par les commentaires précis de l’auteur, une sorte de saisie à  la base des phénomènes qui conduisent des hommes ordinaires à  exterminer de façon atroce et si possible jusqu’au dernier des voisins. Parmi les actes de barbarie, il y a une spécificité du génocide.

La mise en scène de Dominique Lurcel pose un roman de voix tressées de quatre comédiens qui transmettent avec beaucoup de retenue ces « agissements surnaturels de gens bien naturels ». Ni éclat de voix, ni pathos dans cet universalité qui force le spectateur, frappé de stupeur, à  garder les yeux ouverts pour regarder en face la banalisation du mal, et qui apporte autant de questions que de réponses.

Hatzfeld analyse, dans cette enquête sous forme de récit, le processus du génocide rwandais où environ cinq Tutsis sur six ont été tués en moins de six semaines. Un rendement qui s’est révélé être très supérieur à  celui du génocide juif et gitan. Les chapitres alternent les témoignages des tueurs et les analyses de l’auteur. Un récit d’une précision et d’une cruauté glaçante. Nulle trace de repentir dans les témoignages, ni de mauvaise conscience. Il insiste sur la distinction évidente entre un crime de guerre et un génocide : « Mais confondre ces crimes de guerre même lorsqu’ils tendent, dans leur folie collective, à  réduire une communauté civile “ avec un projet explicité et organisé d’extermination est une méprise intellectuelle et politique symptomatique de notre culture du sensationnel. » Il soulève des questions sur le pardon des tueurs, l’oubli des rescapés, dénonce le départ des casques bleus.

Dans La Stratégie des antilopes qui paraît en ce mois d’août 2007, on découvre le troisième volet de Jean Hatzfeld sur le Rwanda à  travers le prisme de Nyamata et de ses environs. Il était question, dans les deux premiers, de ce qui s’était passé dans les marais, avec la voix des victimes (‘Dans le nu de la vie‘) , puis celle des bourreaux (‘Une saison de machettes‘). Mais il y a eu aussi la forêt, avec seulement vingt survivants sur les six mille Tutsis qui y cherchèrent refuge. On découvre, hébétés, le récit de ces journées passées à  courir dans tous les sens pour fuir les machettes.

Entretien avec le metteur en scène Dominique Lurcel. Par Bertrand Tappolet. 17 min.

Présentation des pièces par Bertrand Tappolet.

Une Saison de machettes, Théâtre le Petit Louvre, Avignon, jusqu’au 28 juillet.

Rés. : 0033490 86 04 24. Texte publié aux Editions du Seuil.

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