Deux femmes s’entredéchirent au coeur d’un salon de coiffure : “Au bout du rouleau”.

Deux femmes en pleine mid-life crisis, la quarantaine inquiète, s’entredéchirent au coeur d’un salon de coiffure, «un hair-self » plutôt.

PLASTIQUE DE L’ENNEMIE
« Au bout du rouleau » de Manon Pulver est ce regard au scalpel, apporté sur ce qui nous pousse parfois à  mettre notre vie à  l’épreuve du désordre que peut susciter la rencontre avec l’autre. Son arpentage de l’intime fait femme emprunte autant au vaudeville, à  la satire sociale au théâtre de la sensation d’une Nathalie Sarraute qu’au comique de l’oblique façon Jacques Tati. Sa pièce nous dit aussi qu’un écrivain écrit parce qu’il a lu, vu et parce qu’il a aimé. Il le fait dans un berceau tressé par ceux d’avant. Il les écoute, leur parle, il flotte dans le courant. Elle rappelle que de l’ouverture vers 1900, des premiers « instituts de beauté » et le règne actuelle de la série américaine « Nip/Tuck » qui se déroule dans l’univers impitoyable de la chirurgie esthétique, le corps de la femme est soumis aux aléas d’un triple régime cosmétique, diététique et plastique. « Je désirais formuler à  la fois un désarroi face à  un certain état des rapports, des relations avec cette espèce de liberté que permet la fiction de théâtre d’aller parfois jusqu’à  l’excès, l’absurde », souligne l’auteure.

Amitié prédatrice
« Je n’ai plus d’amis, parce que je les ai tous dévorés. Mon carnet d’adresse est un ossuaire », lâche la comédienne Claude-Inga Barbey. La pièce pose une réflexion sur l’amitié, tôt perçue comme un problème. A l’heure de la virtualité généralisée, c’est toute la notion de coprésence à  l’autre qui est mise en question et subvertie. « Veux-tu être mon ami (e) ? cette invite est l’un des leitmotivs des sites de rencontres ou de location d’amis en ligne, les plateformes d’agora ou des réseautage social style Myspace ou Second Life, simulation sociétale virtuelle, permettant de vivre une “seconde vie” sous la forme d’un avatar dans un univers persistant géré par les joueurs, regorge de ce type d’invite, alors qu’il semble devenir toujours plus ardu de se faire des amis dans la vie réel », suggère la dramaturge.

« On n’échappe pas aux larmes, aux mots définitifs, à  la perte », entend-on. Une langue rageuse drague nos préjugés sur l’image de soi et nous communique quelque chose de l’énergie désespérée du poète à  se rendre maître de tout ce qui dans nos vies renonce, cède à  la morale et au diktat des apparences, à  la norme et à  l’hypocrisie, à  tout ce qui se résigne et qui n’est pas volonté de vivre. Deux actrices se font face. Une dague encastrée dans un « bunker de silicone », c’est Pascale Vachoux ; entre désarroi et perte de soi, voici Claude-Inga-Barbey, dont le silhouette va se tasse jusqu’à  la prostration. « Le personnage comique pêche par obstination d’esprit ou de caractère, par distraction, par automatisme, souligne Bergson. Il y au fond du comique une raideur d’un certain genre, qui fait qu’on va droit son chemin, et qu’on n’écoute pas, et qu’on ne veut rien entendre. »

Balancé entre Claire Bretécher et Christine Angot, le personnage interprété par Barbey, une dépressive chronique qui s’autoconsumme dans le martyr théâtralisé de soi, a la tête enveloppée dans un étrange sac-cornet plastique qui fait penser aux détenus de l’ancienne prison d’Abu Ghraib près de Bagdad. Une image qui peut aussi évoquer une scène d’« Atteintes à  sa vie » pièce en forme d’enquête sur une identité de femme portée disparue de Martin Crimp, montée par Joël Joaunneau. La mise en scène de Daniel Wolf compose un élégant jeu de miroir en distribuant les comédiennes aux deux extrêmes du plateau dans un dispositif bi-frontal pour le public.

Bertrand Tappolet.

Au bout du rouleau,

Pulloff Théâtres Lausanne, jusqu’au 20 janvier 2008.

Reprise . La Comédie de Genève, du 17 au 28 janvier 2009

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