De Bilbao à Onex, entre culture élitiste et culture populaire

onex-rdpt-605
Dinosaure, sculpture florale des jardiniers de la Ville d’Onex, Genève.

Le caractère du paysage culturel au XXIe siècle en Occident se situe-t-il entre le travail de Jeff Koons, Damien Hirst, et celui des jardiniers qui esthétisent l’espace urbain ? La sculpture florale en forme de dinosaure créée par les jardiniers d’Onex sur un rond-point de la cité interpelle les passants qui ne manquent pas de réaliser quelques selfies au passage.

Intégrée au paysage urbain, populaire, elle peut être interprétée comme une analogie de la culture contemporaine et rappelle immanquablement le Puppy de Jeff Koons qui garde l’entrée du Musée de Bilbao. Si l’on compte les images souvenirs prises par les passants, l’attrait exercé par le dinosaure du rond-point d’Onex est bien largement supérieur à celui de The Wise, la sculpture estampillée “art contemporain” imposée dans le cadre du projet art & tram quelques centaines de mètres plus loin.

puppyw_400
Jeff Koons, Puppy, 1992, Photo Wikimedia Commons.

thewise
Ugo Rondinone, The Wise. 2014. Un manque de mise en valeur qui ne peut que cacher une réticence vis à vis de l’oeuvre imposée par “art et tram”.

D’un point de vue artistique, les deux œuvres esthétisent le paysage urbain en utilisant une même technique et l’on peut poser la question de la différence de valeur entre le travail de Jeff Koons et celui des jardiniers de la Ville d’Onex ?

Un point de vue peut situer le décalage au niveau de la perception psycho-anthropologique et sociologique. Le travail de Jeff Koons joue sur le status de l’art dans une opération d’esthétisation de la vie quotidienne, le geste est publicisé lors des manifestations de l’art contemporain qui forment le socle du processus de valorisation des installations des objets; un processus parfaitement réglé qui participe à la consécration du « phénomène de l’art ». La valeur artistique du Pop art de Jeff Koons ou de Damien Hirst se développe proportionnellement à la multiplication des montants records établis lors de ventes aux enchères dans un mouvement de surenchère permanent qui constitue le moteur du marché. Face aux chiffres extravagants et médiatisés à l’excès, le grand public est souvent étonné et fasciné au point qu’il en vient à mêler valeur esthétique et valeur commerciale.

Le travail des jardiniers onésiens ne relève pas de cette entreprise de valorisation financière et esthétique. Il se situe entre art et métier dans le but de produire un effet visuel artistique et esthétique qui ne jouira que d’une reconnaissance relative car sans articulation avec le marché de l’art. Une sculpture florale peut représenter un objet signifiant comme elle peut susciter l’indifférence.

Le Pop Art, si souvent décrié, est une tentative de défier la définition de l’art imposée depuis le XIXe siècle comme l’utopie de la supériorité de notre civilisation élaborée dans l’ivresse de la révolution industrielle. Tant Duchamp que les artistes du Pop art ont déconstruit cette fiction à l’aide d’objets apparents comme la Fontaine pour illustrer le non sens de l’art. En s’inspirant du langage visuel de la publicité, du marketing et de l’industrie des loisirs, et en cherchant à « communiquer avec les masses », Koons a repoussé les limites entre la culture populaire et la culture élitiste.

La place de l’art dans notre vie quotidienne évolue entre les œuvres de Jeff Koons et celles d’autres esthètes tels les jardiniers onésiens. Aujourd’hui, l’art a enfin réussi une mutation : il a disparu car il est partout.

Jacques Magnol & Yi-hua Wu.

Tagués avec :
Publié dans architecture et urbanisme, art contemporain, arts, pop culture, société