Day of the Figurines, un théâtre techno-nomade

Plateau

Plateau du jeu Day of the Figurines. Photo Blast Theory

Day of The Figurines, est un jeu présenté par le collectif anglais Blast Theory à  la biennale Version bêta du Centre pour l’image contemporaine (CIC). Il consiste à  inviter des participants préalablement inscrits à  échanger des SMS afin de créer une communauté virtuelle autour d’une maquette située au deuxième étage du bâtiment de Saint-Gervais. Ce travail a été distingué dans la section art interactif lors du Prix Ars Electronica à  Linz, en Autriche en 2007, mais il serait naïf de réduire l’oeuvre à  cet aspect « hi-tech ».
Blast Theory vient du théâtre, mais son théâtre n’a que faire de comédiens trop beaux et trop faux, les siens sont spectateurs et acteurs et doivent s’inscrire dans une dynamique qui fait appel à  leurs expériences propres. La démarche de Blast Theory est influencée par le courant du New Theater anglo-saxon et le drame Brechtien, il s’interroge sur la place du spectateur qui est invité à  participer à  une expérience dans un espace conçu pour le recevoir et enclencher la réflexion. Blast Theory participe ainsi à  la remise en question d’un modèle scénique et d’une théâtralisation de la réalité.

Figurines

Day of The Figurines est un genre nouveau de théâtre contemporain anti-Otaku !

Comment le théâtre prend-il ontologiquement l’apparence du jeu par rapport au dispositif de théâtre ? Il est certainement utile de revoir ce qui est devenu obsolète. Le terme otaku est pour les jeunes Japonais l’équivalent de nerd en anglais pour désigner une personne aux aptitudes sociales limitées et à  l’intérêt obsessionnel pour un sujet qui peut sembler étrange ou ennuyeux pour d’autres. Cet otaku est condamné à  rester isolé dans sa bulle personnelle.

Le régime de l’art risque d’être victime de ce phénomène Otaku s’il continue de se complaire dans un dispositif architectural conventionnel semblable à  celui du théâtre ou du musée. Ce phénomène conventionnel est matérialisé au théâtre par la configuration d’une salle dans laquelle des sièges sont soigneusement alignés dans un espace où les metteurs en scène racontent des histoires à  des spectateurs captifs. Ce « théâtre-otaku » épuise son public à  coup de représentations lourdes et souvent ennuyeuses de situations que le cinéma sait présenter avec plus de brio.

Un système obsessionnel persiste à  imposer cette illusion de drame qui ne permet pas au spectateur de dialoguer. Au XXe siècle, Berthold Brecht (1898-1956) avait tenté de faire appel à  la conscience du spectateur avec la technique esthétique de « Verfremdung » ou de distanciation. Mais, depuis les débuts du théâtre brechtien, les modes de communication et d’interaction humains ont profondément évolué. La parole n’est plus l’outil universel pour transmettre et recevoir, les nouvelles technologies, de la télévision aux nouveaux modes de médiatisation, changent autant notre perception du monde que nos rapports sociaux par exemple avec Facebook ou un téléphone portable. Il est donc nécessaire d’actualiser le concept de distanciation « Verfremdung » en fonction de ces changements.

Mouvement

Figurine en mouvement sur le plateau

Espace théâtral 2.0 et la situation de transition
La stratégie de Day of the Figurines permet d’éviter cet théâtre-otaku. Blast Theory propose souvent aux participants des expériences jouables au moyen de dispositifs portables et en réseau afin de créer des communautés mobiles-virtuelles entre l’espace physique / urbain et l’espace virtuel. L’intérêt du collectif porte sur un monde saturé par les médias dans une culture populaire propagée par la vidéo, l’ordinateur, les téléphones portables et les technologies en ligne. Blast Theory utilise ces technologies pour susciter des questions à  propos des idéologies dissimulées dans l’information.

La notion de scène rejoint celle de l’espace lui-même et elle est en quelque sorte abstraite car chaque individu la reconstitue sur la base de sa propre perception subjective. Aujourd’hui, les outils numériques embarqués sont certainement parmi les principaux «médiateurs» paysagers, ils permettent aux espaces épars que nous traversons d’accéder au statut de «paysage». La combinaison des espaces réels et virtuels, espace souple ou fluctuant, et crée cette perception inhabituelle ou cette perception spatiale dépourvue de gravité, dans une situation que l’on peut qualifier de réalité augmentée.

L’originalité de Day of The Figurines se situe bien dans cet aspect de techno-nomadisme et de briser le mécanisme du théâtre-Otaku. La première étape de Day of The Figurines se déroule dans un lieu déterminé – le lieu de l’exposition où sont disposées des figurines sur une scène-plateau. L’installation évoque la situation théâtrale, ou le lieu habituel de rassemblement d’une communauté. Le plateau se transforme en scène, des destinations sont indiquées et tiennent lieu d’endroits de référence; ces destinations son réfléchies par un miroir qui crée leurs doubles directement dans l’espace présent, l’ensemble contribue à  former une installation évocatrice et quelque peu étrange. Le joueur doit alors apprendre à  vivre dans cette réalité remixée et cela en fonction de sa situation, leur humeur, dans le monde réel à  un moment précis. L’état d’esprit des joueurs influence les actions de leurs figurines. Un brouillage peut survenir entre la réalité physique des joueurs et leurs rôles fictifs dans Day of the Figurines.

Un autre aspect de cet esprit anti-otaku de Day of The Figurines se trouve dans l’engagement social d’une communauté qui crée des liens et les développe. « Who are you? » est la première question posée au participant à  Day of The Figurines. L’équipe de Blast Theory étudie ensuite le profil de chaque figurine afin de la doter d’une identité qui décidera de son avenir dans un monde traversé par une suite de situations de guerre et de catastrophes, semi virtuelles et semi réelles.
Chaque participant au jeu se livre à  une enquête sur la composition sociale de son environnement, les conflits internes et l’organisation de l’oeuvre en « live » afin de créer une relation entre la production individuelle et la construction en commun, entre la singularité et la multitude.

L’art contemporain intervient dans les autres disciplines et plus particulièrement dans les arts vivants comme le cinéma, le théâtre, la danse, la musique. Blast Theory propose une approche de la contribution apportée par le théâtre à  l’art contemporain par un phénomène de pseudo-hétéronomie entre les deux. L’intention de l’interdisciplinarité n’est plus, historiquement parlant, par rapport au siècle dernier, aussi déconstructive et radicale. Ces frontières fonctionnent maintenant comme une source innovatrice et productive qui permet de repenser et recréer l’art ; elles permettent aux créations de continuer à  élargir et mélanger les formes et les processus vers un champ ouvert et hybride. Le contenu d’une forme dépasse donc l’aspect de son apparence pour englober celui de sa structure dans un mouvement dont les modulations de la forme ajoutent à  la multiplicité du contenu de l’oeuvre. L’histoire ne représente pas seulement une contrainte ou une charte que l’artiste doit briser ou adapter car il est libre d’utiliser des éléments formels historiques et jouer de ces éléments pour re-présenter un nouvel engagement artistique dans une pratique ouverte aux nouvelles technologies et aux nouveaux matériaux.

Yi-hua Wu

Entretien avec Matt Adams, leader du collectif Blast Theory. Par Yi-hua Wu. (31 octobre 2008 à  Genève. En anglais)

Day of The Figurines est à  expérimenter au Centre pour l’image contemporaine dans le cadre de la biennale Version. Les inscriptions sont ouvertes jusqu’à la fin du jeu, le 23 novembre 2008.

Publié dans arts, scènes, théâtre