Danser le théâtre de la solitude contemporaine

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Urs Lüthi, “Small Monument (l’artiste)”, 2011, bronze peint, socle en bois; Olivier Mosset “sans titre”, 1999, acrylique sur toile, verre, cadre métallique.

Le Fonds municipal d’art contemporain de la Ville de Genève expose une vingtaine d’œuvres de sa collection au Commun de la rue des Bains, sous le titre « Nous pourrions danser ensemble », et qui dit exposition dit commissaire. Pour ce coup là, ils sont trois, et l’une vient même de Nantes.  Aujourd’hui, pour reprendre une réflexion d’Henri Cueco, les œuvres n’existent qu’accompagnées de textes explicatifs ou philosophiques ; l’œuvre y devient un produit dit de communication. Sans le texte édifiant qui devient partie intégrante de l’œuvre, celle-ci demeurerait insignifiante. Ce texte est son mode d’emploi, sa posologie. Le trio a donc défini un thème : “porter une attention à la marge”, et un objectif : “brouiller les repères”. Voilà pour le discours sans concession prononcé comme il se doit dans ce type de lieu.

Le circuit proposé au Commun réserve peu ou pas de surprises du côté du choix des artistes victimes, nous y retrouvons les pièces souvent vues lors de récentes opérations de promotion, ainsi d’Urs Lüthi, Jérémy Chevalier, Gianni Motti, Christian Robert-Tissot, Marie José Burki ou Balthasar Burkhard, entre autres. Victimes, car les œuvres sont sollicitées pour illustrer un propos sans que les artistes aient été consultés, ou seulement avisés, et plusieurs s’en sont plus qu’étonnés. La toile ronde et monochrome d’Olivier Mosset est ici à voir tel un « astre nocturne, blafard comme une aspirine » qui dialogue avec la revendication d’une « Eclipse totale de lune » par Gianni Motti, cette dernière poursuivant l’échange avec des affiches des fêtes nocturnes de la Cave 12. Etablir ensuite le lien avec la toile de Christian Robert-Tissot « Ne pas marcher même en chaussettes » se révèle ensuite difficile mais l’objectif défini par les trois commissaires est atteint : les frontières « entre l’espace intime et l’espace public » sont brouillées dans un décor censé exposer le « théâtre de la solitude contemporaine ».

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Gianni Motti, “Eclipse totale de lune, 04/04/1996 (de 00h21 à 03h58)”, 1996, document; Urs Lüthi (voir ci-dessus); Charles Weber, 69 tirages issus de la série “100 Portraits d’Apprentis à Genève”, 1995.

L’accrochage très scolaire surprend, par exemple avec le document attribué à Gianni Motti. S’il s’agit d’une œuvre, que fait-elle ainsi maladroitement punaisée sur un pilier ? Renseignement pris auprès de l’artiste, il s’agit d’une simple photocopie d’un document dont l’original est la propriété de l’artiste, et donc sans rapport avec la collection du FMAC. Un autre artiste, qui préfère ne pas voir son nom cité, estime que la présentation d’oeuvres dans le cadre d’une exposition institutionnelle devrait donner lieu à  une rémunération des artistes qui reste à définir, par exemple dans l’esprit du droit de suite adopté par le Conseil des Etats en 2014 et qui postule que « les artistes plasticiens suisses perçoivent un pourcentage du prix de revente de leurs oeuvres par un marchand d’art ». Dans les institutions, du commissaire au technicien de surface, tous les intervenants ne sont-ils pas rémunérés ?
A défaut de danser, reste le plaisir et l’intérêt de revoir, sinon découvrir les œuvres en question.

Nous pourrions danser ensemble
Un regard sur la collection du Fonds d’art contemporain de la Ville de Genève (FMAC), par Julien Amouroux Alias le Gentil Garçon, Patricia Buck et Carole Rigaut.
Le Commun. 28 rue des Bains. Genève.
27 août au 2 octobre 2016.

 

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