Carole Roussopoulos a mis son art au service d’une réflexion sur la violence et l’exclusion

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La cinéaste Carole Roussopoulos a mis son art au service du développement d’un espace social réel qui contribue à  créer un espace de réflexion. Elle est décédée le 22 octobre 2009, chez elle dans son village valaisan de Molignon, à  l’âge de 64 ans.

Violence contre les femmes (mariages forcés, viol conjugal, mutilations), le devoir de mémoire (Portrait de Ruth Fayon), le don d’organes, la vieillesse, le cancer, les soins palliatifs sont parmi les sujets qui l’ont occupée ces dernières années. Fortement engagée dans la vie locale depuis son retour en Suisse en 1995, elle aura témoigné jusqu’au bout avec ses derniers films réalisés en 2009 :  “Pramont, une deuxième chance” qui recueille le témoignage de jeunes que la drogue, le brigandage ou la violence ont conduits au Centre éducatif de Pramont, à  Granges, dans le Valais,  De la peur à  l’espoir, un film qui souligne la nécessité d’accompagner les malades et leurs proches aux niveaux tant pratique et matériel que psychologique. En 2009 elle aura aussi réalisé un portrait de Delphine Seyrig avec qui elle avait fondé le “Centre d’archives audiovisuelles Simone de Beauvoir”.

En 2008, à  l’occasion de la Journée internationale des femmes, l’Espace femmes international (EFI), la Haute école d’art et de design (HEAD), le festival Visions du Réel (Nyon) et la Comédie de Genève se sont associés pour organiser un riche programme autour du thème «l’engagement citoyen». En mai de la même année, la Comédie de Genève lui avait rendu hommage, même si les “hommages et révérences l’inquiétaient un peu, mais il y a de quoi être intimidé par son parcours: réalisatrice de 150 films documentaires, responsable de L’Entrepôt, cinéma mythique, de 1986 à  1994, co-fondatrice avec Delphine Seyrig du Centre d’archives audiovisuelles Simone de Beauvoir, dont elle fut une amie, Carole Roussopoulos a réussi à  devenir une statue de Commandeur (des arts et des lettres) sans se notabiliser. C’est pour cela peut-être que certaines femmes qui la croisent pensent qu’elle se fait des mèches blanches “alors que c’est ma vraie couleur!”.

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Fin 2008, toujours aussi active, Carole Roussopoulos avait soutenu la lutte d’un petit groupe d’étudiantes genevoises qui s’étaient révoltées contre les brimades et les violences exercées à  l’encontre de femmes en grandes difficultés dans un lieu d’accueil des Grottes censé protéger ces femmes en détresse. Quelques politiques avaient malgré tout réussi à  étouffer l’affaire. Nous l’avions longuement rencontrée à  cette époque, dans sa maison au milieu des vignes, en haut du village de Molignon, déjà  malade elle consacrait toujours son énergie à  servir de médiatrice, par exemple à  Pramont, et à  informer de ces formes pernicieuses de violence que notre société feint d’ignorer.

Marianne Aerni, coordinatrice de la journée pour la Comédie relevait lors de la manifestation que «Montrer son travail nous est apparu comme une évidence. Cette réalisatrice donne la parole à  celles et ceux qui ne l’ont pas, explique Rina Nissim. Ses films parlent de féminisme mais aussi de pauvreté, de drogue, d’exil ou encore d’homosexualité.»

Les travaux de Carole Roussopoulos constituent une mémoire politique et culturelle exceptionnelle que le Centre pour l’image contemporaine à  Genève avait entrepris de conserver. Carole Roussopoulos avait formulé le désir que les droits sur ses oeuvres ne soient pas dispersés entre plusieurs ayant-droits.

Quand les outils de divertissement – TV, films, jeux vidéos, applications pour téléphones portables – font l’apologie de tous les types de violences et flattent le voyeurisme, les responsables politiques si prompts à  vanter leur préoccupation sociale devant leurs électeurs ont le devoir de donner la parole aux personnalités qui font contrepoids aux promoteurs de ces violences. La disparition de Carole Roussopoulos aurait dû être l’occasion de montrer ses films hors des habituels cercles restreints dans une opération soutenue par un réel effort de communication, d’autant plus que la Ville de Genève en possède la collection.

 Jacques Magnol

Lire sur le Web : Féminisme, cinéma et émancipation : Carole Roussopoulos

Publié dans cinéma, scènes, société