Arles : Lynchage en Amérique

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Dans l’Amérique, le nécessaire devoir d’histoire passe par une confrontation avec le lynchage devenu une image propagande sous forme de cartes postales ou de photographies-souvenirs. Ces instantanés de corps violentés étaient très largement vendus à  la foule qui assistait au supplice. Des images regroupées sous le titre « Without Sanctuary », une exposition déjà  présentée en 2000 à  New York. « Il y a eu un meurtre qui s’est tenu à  20 minutes de mon domicile. Mais personne ne peut aujourd’hui identifier ceux qui étaient sur les photos », souligne l’un des Commissaires de l’exposition et collectionneur James Allen.

Entretien avec James Allen, Co-Commissaire de l’exposition « Without Sanctuary » et collectionneur (en anglais)

A en croire le récit historique, l’atmosphère semblait carnavalesque, dans ce qui constituait une attraction morbide annoncée à  l’avance et drainant des milliers de badauds de la région. Lynchage, le terme vient de William Lynch (1736-1796), juge de paix en Virginie, qui «réforma» la Justice pour la rendre plus… «efficace». Il n’apparut vraiment qu’en 1837 quand la “justice” selon Lynch commença à  être appliquée aux Indiens de Nouvelle Angleterre avant d’être généralisée aux Noirs du Sud des États-Unis. Des atrocités commises au nom du maintien d’un ordre social et racial et de «la pureté de la race anglo-saxonne ».

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Exposition « Without Sanctaury ». Le lynchage de Lige Daniel. 3 août 1920, Centre du Texas

Exécution propagande
Un exemple, parmi tant d’autres, de cette pratique qui a été très courante aux Etats-Unis faute de tribunaux à  disposition. L’homme est noir. On l’accuse d’avoir dérobé un cheval, on a reproché à  sa mère d’avoir pris sa défense. Un « tribunal » composé à  la hâte par ceux qui souhaitaient le plus en découdre ce jour-là  a rendu la sentence : c’est la mort par pendaison puis le bûcher. Pour «purifier» les corps, affirment les bourreaux. Ces images de lynchage sortent des greniers de l’Amérique profonde et de ses albums de famille. Ces corps exhibés, suppliciés, fouettés, écorchés, lacérés, mutilés, brûlés vifs sont ceux de jeunes noirs dans leur majorité. En réalité, on lynchait aussi bien les femmes (61 entre 1889 et 1918) et les enfants, comme en témoigne la photo de Laura Nelson, pendue en 1911 à  un pont de l’Oklahoma avec son fils de quatorze ans dont elle avait pris la défense. Le délit reste souvent obscur : avoir offensé la suprématie blanche, une dispute, des insultes, un témoignage à  charge contre un Blanc, pouvait conduire à  la potence. Omniprésente, la foule pose aux pieds des pendus, et en garde les images comme autant de trophées et de titres honorifiques. Les photographes installaient leur chambre noire sur les lieux mêmes de l’exécution pour procéder rapidement aux tirages. «Voici notre barbecue d’hier soir», écrit un dénommé Joe à  ses parents, au dos d’une de ces cartes montrant les restes calcinés d’un pendu de dix-sept ans à  Robinson, Texas, en mai 1916. Le fils a même signalé sa présence au sein de la foule par «une croix sur la gauche du gibet».

Cruauté
Le Petit journal parisien en date du 14 décembre 1902 fait le récit de l’une de ses formes de lynchage qui témoigne de la brutalité et de la cruauté de ces exactions : « Les américains, qui sont souvent si sévères pour les autres et qui ne se gênent pas pour critiquer les formes de justice de la “vieille Europe”, qu’ils qualifient de “surannées”, tolèrent chez eux des excès véritablement révoltants. Il est, en effet, reconnu, ou tout au moins admis par eux que l’on peut appliquer la féroce loi de Lynch ; c’est-à -dire, que sans attendre la défense de l’inculpé et la décision des juges, la populace américaine s’arroge le droit de punir celui qu’à  tort ou à  raison elle a déclaré criminel. La prison, en ce cas, n’est alors si bien gardée que la foule n’en puisse forcer les portes, qu’elle n’en arrache le captif parfois innocent et qu’immédiatement, sans autre formalité, elle ne l’exécute avec d’abominables raffinements de cruauté indignes d’un grand peuple, d’une nation civilisée. C’est ce qui vient de se passer, il y a quelques jours, à  Lenoxville. Un nègre (sic) fut accusé (était-ce vrai ; n’était-ce pas vrai ?) d’avoir assassiné une femme blanche. Par ordre supérieur, il fut solidement attaché, dans une cellule fétide, au cadavre de sa victime ; et, pendant soixante-douze heures, il subit le contact de ce corps en pleine décomposition. Cet horrible supplice rendit le malheureux fou furieux, et il poussa de tels hurlements que pour s’en débarrasser, plutôt sans doute que par humanité, les témoins féroces de son supplice le tuèrent à  coups de revolver. N’est-ce point vraiment hideux ? »
Bertrand Tappolet

Exposition jusqu’au 13 septembre 2009, Arles
Without Sanctuary, Lynching Photography in America, Twin Palms, 2007

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