A Table

scène
Dans le cadre du 11e Festival Dansez, les nourritures terrestres sont des embrayeurs de mouvements et d’imaginaires menu d’Entremets, entremots mis en scène par Serge Noyelle. Propos de table ou invitation à  se mettre littéralement à  table pour le spectateur au détour de ce spectacle banquet conçu par la Compagnie Styx en forme de jeux de bouche mêlant effluves du verbe et saveurs culinaires.

Interview par Bertrand Tappolet.

« Connaît-on les effets moraux des aliments ? Existe-t-il une philosophie de la nutrition ? », s’interroge Nietzsche dans Le gai savoir. On mêle les plaisirs du regard, de l’écoute et des papilles. Aux plats s’abouchent les mots. Historiettes, poèmes, croquignolesques avis, futiles considérations délicieusement saucées de non sens. Que tout cela est bien dit ! Exceptés Le galant tireur de Baudelaire et L’antique Inca de Paul Faure, les textes sont de la veine de Marion Courtis, fruits ou non d’improvisations de la troupe, la Compagnie Styx. Une rêverie ici poétique, là  philosophique, surréaliste, pleine de “ludicité” ou empreinte de gravité. Un comédien constate que si les bulles de champagne étaient solides, le bonheur serait à  portée de main. Un propos qui rejoint celui du philosophe Michel Onfray qui écrit dans La raison gourmande : « Le champagne est là  pour dire cette aspiration au plaisir en même temps que l’enracinement de cette appétence dans le manque qui nous taraude : si nous voulons la jubilation, c’est que nous ne sommes pas heureux. Homo bulla. »

Sur une table immense dressée en carré et pouvant accueillir 40 spectateurs, un chiffre symbolique neuf se dépolit comme autant de plats servis, car la scène est aussi dans l’assiette. Quatre protagonistes principaux sont distribués en autant de points cardinaux au cà“ur de ce qui fait la puissance de la sociabilité du théâtre, celle du partage. Ainsi comédiens et spectateurs sont établis sur un plan d’égalité. Entremets, entremots cherche à  restituer le vécu organique, réel ou fantasmé, le tohu-bohu du corps mangeant. Cet « étrange exercice qui consiste à  se remplir pour se vider, à  se vider pour se remplir », philosophe avec une noire ironie celle qui fait office de Maîtresse d’hôtes, tyrannique et fellinienne.

Consumation des mots

Le repas redevient le temps où se racontent les histoires et non où se règlent les comptes et s’annoncent les anamnèses. Au sortir de cette déraison gourmande qui invite à  un trajet en terres hédonistes, on se remémore qu’un Grimod de la Reynière inventa la critique gastronomique à  partir de la scène théâtrale. Ou qu’un Brillat-Savarin accéda au rang de philosophe grâce à  une truffe. On se souvient surtout que placer sous les auspices de l’ange hédoniste et d’une farandole alimentaire, le goût et l’olfaction reviennent au cà“ur des sens nous disant combien l’homme qui pense et profère est toujours doublé d’un animal qui renifle et goûte. Pour une sociabilité à  mots et plaisir de bouches croisés enfin retrouvée.

« Nous consommons notre mariage pendant la lune de miel ». La nourriture colonise nombre d’étapes de la vie conjugale, pré-texte à  un questionnement d’un spectateur choisi au hasard sur la nature de son repas pris avant sa première nuit d’amour. Le goût et l’olfaction sont mis en exergue, car ils montrent à  l’envi combien l’homme qui pense et médite est doublé d’un animal qui renifle et goûte.
Bertrand Tappolet

Entremets, entremots
Château rouge Annemasse
Jusqu’au 21 mars 2009.
Rés. : 0033450 43 24 24

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