Projet Jean Nouvel. Pavillon sur la promenade de l’Observatoire. (montage photographique) © Jean Nouvel.
Qui dit don, dit aussi remerciements, et c’est le point qui irrite tant le public que les membres des conseils des institutions culturelles, à Genève comme à New York.
Entretien avec Jean-Yves Marin, directeur des Musées d’art et d’histoire de Genève.
Le nouvel âge d’or de la philanthropie
Le monde des arts se prépare à la « tornade » alors que la récession frappe les principaux pays du monde. Le 22 novembre 2010, en Italie, les institutions culturelles n’ouvriront pas leurs portes pour protester contre les réductions de budget. Partout, les Etats diminuent leur contribution à la culture, mais en même temps « un vaste effet de richesse annoncé pour les cinquante prochaines années est potentiellement synonyme d’un nouvel « âge d’or » pour la philanthropie»*. Face à ce désengagement des Etats, les gestionnaires d’institutions se tournent donc vers les milieux privés, mais cela a un coût en terme d’image.
A Venise, des architectes et directeurs de musées contestent la présence de gigantesques panneaux publicitaires sur les façades des monuments actuellement en travaux (Palazzi storici di Venezia violati’ dai cartelloni pubblicitari). Le maire, Giorgio Orsoni, estime que «la seule manière de résoudre le problème serait d’avoir une baguette magique et réparer tous les bâtiments sans avoir à les couvrir, mais on manque désormais d’argent public. J’accepterais avec plaisir les dons s’il y en avait ». Les citoyens de Venise ou de Genève seraient-ils cependant prêts à soutenir seuls le financement de la culture pour ne pas avoir à remercier dans un certain tapage l’action des mécènes ou sponsors qui les irritent tant?
A New York, donner 100 millions de dollars, c’est un minimum pour être considéré
Faut-il remercier un généreux donateur par une discrète mention dans le bulletin annuel, ou inscrire son nom sur le fronton de l’établissement, qu’il soit musée, université ou bibliothèque? A New York, pour cent millions de dollars, le financier Stephen A. Schwarzman n’a pu obtenir des trustees que le nom de l’institution soit accolé au sien, il n’a obtenu “que” le bâtiment dédié aux sciences sociales. 100 millions de dollars, c’est désormais le minimum pour obtenir une reconnaissance d’importance, et du format du nom du donateur indiqué à l’entrée d’une salle, gravé sur un pilier, ou même sur le fronton, tout se marchande âprement.
Quelques années auparavant, toujours à New York, un autre mécène avait tenté d’accoler son nom au Guggenheim pour quelques 10 millions de dollars étatsuniens, ce lui fut refusé et il retira son offre. Dans le monde anglo-saxon, la philanthropie est ancrée dans les moeurs, indispensable au développement des institutions culturelles ou des universités qui portent souvent le patronyme de leur bienfaiteur. « Il est presque impossible d’entrer dans une salle du bâtiment (de la New York Public Library) dont le sol ou le linteau de la porte ne soit pas gravé du nom d’un mécène» remarquait Paul LeClerc, son président, au moment du débat sur la façon qu’il convenait d’honorer un mécène si généreux**.
La ronde des remerciements se poursuit ensuite au fil d’articles rédactionnels, grâce aux bienfaits du cash qui inondent les médias prompts à dresser portraits flatteurs et touchants de ces bienfaiteurs, fussent-ils de ces spéculateurs qui affament le monde. Jamais une conférence de presse n’est aussi courue qu’à l’annonce de la présence d’un riche mécène!
Genève préfèrerait les donateurs discrets
A Genève, le financement privé d’une partie des travaux de rénovation et d’agrandissement du musée d’art et d’histoire, ainsi que le don d’une somme supérieure à 20 millions de francs, assortie du prêt à longue durée d’oeuvres antiques et modernes, est assorti d’échanges de bons procédés entre le principal donateur et collectionneur, rencontre d’autant plus de réticences que, pour beaucoup, le musée semble avoir été bradé dans la volonté frénétique de conclure des partenariats public-privé qui sévit actuellement. La mutation annoncée du bâtiment centenaire, passablement vieillot et dont l’entretien a été trop longtemps délaissé, mobilisera, probablement durant plusieurs années, l’énergie de commissions et d’opposants autour de la pertinence du projet même de l’architecte, de la nécessité tout aussi urgente de construire un bâtiment pour abriter ailleurs les écoles d’art, de l’utilité d’investir dans la culture en période économique difficile, quel type de culture privilégier, et même des noms des partenaires qui figureront dans la nouvelle raison sociale de l’institution.
Patrimoine en danger: des corniches du Musée d’art et d’histoire sont tombées en août 2007. (photo MAH).
Vaste débat au moment où une autre frange de la population revendique de nouveaux lieux culturels et festifs, que la nécessité de rénover et de construire est reconnue par tous. Rares sont les politiciens qui, à l’instar de René Longet, rappellent que c’est au peuple de se prononcer sur le type de culture et d’investissements auxquels il est prêt à contribuer. Les mécènes et autres investisseurs dans l’économie de l’art auront pour longtemps encore le champ libre, cependant les institutions culturelles devront redoubler d’efforts pour persuader du bien fondé du soutien reçu. En effet, la nouvelle tendance des fondations philanthropiques exprime une préoccupation croissante pour les problématiques globales (santé globale, protection de l’environnement, etc.), la volonté de remplir un rôle de premier plan dans les paysages de l’aide au développement et de l’atténuation des effets de la mondialisation, des thèmes plus rémunérateurs en terme d’image.
La base de la philanthropie demeure le consentement des contribuables à voir la puissance publique renoncer à une partie du produit de l’impôt pour financer des missions d’intérêt général. Le contrôle de l’utilisation efficace et mesurable du potentiel que permet leur investissement est cher aux nouveaux philanthropes qui imposent les techniques de management et les exigences de rigueur, d’efficacité et de résultats, du milieu professionnel dans lequel ils ont bâti leur fortune, est donc logique. Ce développement du plein potentiel d’une institution est aussi l’avantage d’un partenariat public-privé quand il est déployé au service d’une réelle politique culturelle.
Jacques Magnol
* Joseph Zimet, Agence Française de Développement.
** New York Times, 20 avril 2008.
Voir également sur GenèveActive.ch
– Bienfaisance: Plus on est heureux, plus on donne !
On peut aussi rappeler la polémique à Genève dans les années 2002 à 2005 quand la sga défigurait la ville avec sa pub sur les abribus ce qui permettait à la ville de ne pas les payer elle même.