Il y aurait donc un mythe Galileo Galilei ? Le savant qui se dresse contre les certitudes officielles pour en proposer une autre, mais qui dérange trop; se voit menacé, pressé, et finalement contraint par la Sainte Inquisition d’abjurer la vérité scientifique qu’il avait découverte et énoncée – il y a là de quoi nourrir un mythe que le théâtre et la littérature ont contribué à fabriquer. La part du mythe ? Celle de la réalité ? Au Musée d’histoire des sciences, des chercheurs, universitaires et auteurs, braquent un nouvel éclairage sur Galileo Galilei. Mercredi 25 novembre 2009 de 18h.00 à 21h.00
Illustrations du BDiste genevois FiamiÂ
Un ado sans problèmes
Né à Pise en 1564, Galileo est l’aîné de 7 enfants d’une famille de la petite noblesse qui vit de commerce. Ils déménagent à Florence, il est éduqué par un prêtre puis envoyé au couvent – qu’il quitte avant le noviciat. A 17 ans son père l’envoie suivre des cours de médecine à l’Université de Pise – sans intérêt pour le jeune homme, qui se retrouve à 19 ans sans titre ni diplôme et de retour à Florence.
Galileo trouve sa voie en 1583 quand un ami de la famille et grand savant l’initie aux mathématiques. Brillant jeune homme : à 19 ans, en chronométrant avec son pouls les mouvements pendulaires d’un lustre de la cathédrale, il découvre la formule algébrique de l’oscillation. Trois ans plus tard il est physicien et mathématicien, se passionne pour la chute des corps, le centre de gravité, les lois du mouvement, et démontre les théorèmes assortis.
Il cherche un poste universitaire, fait jouer les relations familiales, et trouve. Ce sera d’abord en 1589 (il a 25 ans) l’Université de Pise, payé 60 écus d’or par an – une misère. Trois ans plus tard, nommé à l’Université de Padoue où il restera 18 ans. Padoue appartient à la République de Venise, qui pratique une grande liberté intellectuelle et laisse peu de place à l’Inquisition. De plus, Venise possède un important arsenal et … une remarquable industrie du verre.
Grâce à l’arsenal, Galileo Galilei pousse ses travaux sur la balistique, la mécanique appliquée, l’architecture militaire, et les mathématiques. Il découvre et formule : dans le vide les trajectoires sont paraboliques, loi du mouvement uniformément accéléré. Il observe à la lunette l’apparition et la disparition d’une étoile. Lunette ? Le verre vénitien.
Intellectuellement, en 1604Â Galilée est outillé pour fondamentalement remettre en question la vision officielle du monde.
Un univers parfait et nombriliste
Vers 600 avant Jésus-Christ, les philosophes grecs ( dont Thalès) énonçaient que la Terre est plate, et les astres sont fixés sur des sphères qui tournent. Pour les Pythagoriciens, un siècle plus tard, la terre est sphérique, et les astres sont fixés sur dix sphères concentriques qui enveloppent la terre centre du monde et donc de l’univers. Aristote ( 384 – 322 av. J-C) peaufina ces théories en leur permettant de répondre à toutes les questions – telles le mouvement rétrograde des planètes. Et c’est Ptolémée au 2e siècle de l’ère chrétienne, à Alexandrie, qui fixa les données de la théorie absolue dans son ouvrage » Almageste ». Au passage il y inventorie 1022 étoiles et 48 constellations. Le système géocentrique a désormais sa lettre de noblesse signée Aristote et Ptolémée.
Au Moyen-Age, on en revient à la vision d’un monde plat, qui a forcément une fin. A la fin du monde physique, il y a le néant peuplé de monstres. Malheur à ceux qui y vont et se pencheraient. Les récits des grands navigateurs et explorateurs peu à peu corrigea cette vision, et l’on revint à la théorie née dans l’Antiquité.
Or donc, la Terre est le centre de l’univers, elle est parfaitement immobile. Jour, nuit, saisons, sont dus à des mouvements extérieurs à la terre. La terre est une sphère parfaite, les astres tournent selon des trajectoires qui sont des cercles parfaits. Tous les postulats décrivant le monde sont alors le résultat d’un savant mélange de science, de religion et de philosophie.
La perfection est la signature de Dieu, qui seul a pu créer un tel monde. L’église catholique sera donc pendant 13 siècles absolument géocentrique, Bible à l’appui. C »est Benoît XIV vers 1750 qui décréta l’abandon de cette vérité vaticane.
Piètres lunettes, inouïs résultats
En 1609, un ancien étudiant de Galilée lui écrit de France en confirmant l’existence d’une lunette astronomique fabriquée en Hollande et qui a permis en 1608 de voir des étoiles jusqu’ici invisibles à l’oeil nu. Intuitivement, Galileo construit sa propre lunette, qui grossit 6 fois sans déformations. L’art des verriers vénitiens n’y est pas étranger. Galilée perfectionnera le modèle jusqu’à obtenir un grossissement de 20 fois, et multipliera ses observations et découvertes astronomiques.
Notons deux choses. D’abord, les verres de ces lunettes étaient montés sur des tubes en bois soumis aux imprécisions de la fabrication et aux caprices de l’humidité. Sur plus de 60 lunettes construites, selon Galileo lui-même seules quelques unes furent satisfaisantes. Ensuite, le fait que Galilée garda ses lunettes pour lui. Johannes Kepler, qui lui donna son soutien, ne s’en vit même pas proposer un modèle – il faut dire que Kepler était protestant et théologien …
Néanmoins, Galilée observe le ciel avec frénésie. Entre 1609 et 1610 il scrute la Voie Lactée, Orion, découvre les lunes de Jupiter, les taches solaires, les montagnes de la Lune. Il invite les grandes cours à observer avec lui. Un vrai triomphe de RP, sa renommée s’étend. Pourtant, officiellement Galileo Galilei reste partisan de la vision du monde aristotélicienne et géocentrique. Mais au fond, il est farouchement copernicien depuis bien des années.
Copernicien ? Nicolas Copernic, mort en 1543, chanoine et médecin et astronome polonais, avait lui-même observé à la lunette et calculé que c’est le Soleil qui est au centre du monde, que la Terre tourne autour du Soleil, et la Terre tourne sur elle-même. La »révolution copernicienne » était héliocentrique, dérangeante et hérétique.
Des amis au Vatican
Les démonstrations de Galilée lui valent d’être invité en 1611 par le Cardinal Barberini – qu’il connaît de longue date – à présenter ses découvertes au Collège Pontifical de Rome. Galileo en ressort couvert d’honneurs, et le Collège Romain confirme un mois plus tard au très influent Cardinal Bellarmi que les observations de Galilée sont exactes. Qui plus est, le Cardinal Barberini est élu pape sous le nom de Urbain VIII . Galileo a vraiment des amis au Vatican. Mais pas chez les Jésuites. Ils vont orchestrer au nom du géocentrisme – doctrine officielle – une série de campagnes de diffamations, d’accusations, de dénonciations, de polémiques, qui vont durer 20 ans. En vain. Galilée peut compter sur le soutien de Coperniciens influents. Il reste aussi le protégé du pape Urbain VIII, et du puissant Grand-Duc de Toscane Ferdinand II de Médicis. Les thèses de Galilée, toutefois, sont finalement censurées par le Vatican. Trahison ?
En 1620, Galileo passe un mois à Rome, durant lequel il est reçu plusieurs fois par le pape. Urbain VIII a une idée : publier un livre intitulé » Dialogue sur les deux grands systèmes du monde » et qui expose avec objectivité les visions du monde selon Aristote-Ptolémée ( le géocentrisme) et selon Copernic ( l’héliocentrisme) . Avec objectivité. Il propose à Galilée, qui accepte, d’écrire ce livre.
Galileo y mettra plus de dix ans. Le livre paraît le 21 février 1632. Scandale : c’est plutôt un plaidoyer pro-copernicien où le géocentrisme se trouve sérieusement mis à mal. Le pape avait demandé l’objectivité – des exposés parallèles sans plus – et il se voit trahi par l’auteur. Urbain VIII se retourne alors contre Galilée, qu’il livre au Saint-Office – l’Inquisition.
La trahison de Galilée est double. Premièrement, il avait ordre du pape, infaillible, d’être objectif dans sa présentation et il a soutenu un camp contre l’autre. Deuxièmement, au lieu de présenter les thèses coperniciennes comme une théorie ( en tant que théorie, admissibles par l’Eglise ) il les a érigées en vérités alors que seule l’Eglise détient la Vérité.
Galileo Galilei a alors 68 ans, il est malade, a perdu la vue d’un oeil . Il comparaît devant le Saint-Office de février à juin 1633. Il n’a jamais été torturé, était fort décemment détenu dans un couvent. Ses thèses n’ont jamais été en accusation par le tribunal de l’Inquisition, mais sa trahison du mandat papal, oui.
Devant ses juges, Galilée argumente et résiste. Pour en finir, l’Inquisition lui met le marché en main : être torturé, ou signer cette déclaration toute prête où Galilée abjure formellement ses théories. Galileo Galilei signe le papier. Le fameux » Eppur si muove » ( et pourtant, elle tourne) est complètement apocryphe. Condamné à la prison à vie, Galileo voit sa peine immédiatement commuée par le pape en assignation à résidence : résidences extrêmement décentes et confortables.
Galileo Galilei meurt en 1642 à Arcetri près de Florence. Il avait 78 ans.
L’empreinte Galilée
La vision du savant de la Renaissance dressé contre l’obscurantisme de l’Eglise Catholique, découvreur de nouvelles galaxies et abjurant sous la torture n’est qu’un mythe. Galileo Galilei vaut mieux que ça : il a jeté les bases de la science moderne en libérant la science du fatras philosophiquo-religieux qui la brouillait depuis l’Antiquité. Retour aux faits, à l’objectivité des constats et à la rigueur mathématique.
On oublie chez Galilée le physicien et le mathématicien, dont les travaux permettront à Newton de livrer des clés de compréhension essentielles – par exemple.
Les esprits éclairés n’ont pas manqué. Il est dommage que le mythe Galilée tende à les éclipser. Il y eut aussi, entre autres, Johannes Kepler, Tycho Brahé, et bien sûr Copernic. Brillante constellation …
Jean-Jacques Kurz
Musée d’histoire des sciences. Mercredi 25 novembre 2009 de 18h.00 à 21h.00