Le Galpon vit ses derniers jours à  Artamis avec L’Origine Rouge de Novarina

scene de origine rouge

Clara Brancorsini et José Ponce, dans L’Origine Rouge, au Galpon. Photos Manuel Alvarez.

Il faut le dire et le crier, L’Origine rouge, de Valère Novarina, est la dernière occasion de voir un spectacle joué à  l’intérieur des murs du Galpon. Cette création boucle 12 ans d’activités créatives d’un théâtre : le Galpon.
Pour l’occasion Gabriel Alvarez a choisi la langue corrosive et ludique de Novarina. Un texte qui parle d’Origine mais aussi qui va mettre en valeur la polyvalence scénographique de ce théâtre.

Entretien avec Gabriel Alvarez, par Bertrand Tappolet.

L’Origine Rouge. Valère Novarina. Théâtre du Galpon du 26 août au 13 septembre 2008. mardi au samedi à  20h, le dimanche à  18h. Direction Artistique Gabriel Alvarez, Jeu Clara Brancorsini , José Ponce, Musicien, Marie Claire Roulin. Scénographie Alex Gerenton et Gabriel Alvarez. Théâtre du Galpon du 26 août au 13 septembre.

Chaque soir, après l’Origine Rouge, le public est convié à  un « after coup de grâce ». Participeront à  ces soirées mémorables de destruction : Sarten, Nathalie Tachellak, Fabien Piccand, Swong et autres grandes surprises à  confirmer, comme les pleureuses de Taranto, Valère Novarina et Tage Larsen.

 

Origine rouge, la scène

La démarche du SAT, par Gabriel Alvarez

le SAT travaille depuis 2002 avec un groupe permanent d’acteurs, sur « la dramaturgie de la parole», la voix et le langage.
Un chemin d’exploration sur la parole parlée et chantée au théâtre, sur les intonations et le rythme des mots comme porteurs de sens.
Pendant ces trois dernières années, les textes de Heiner Müller « Quartett », « Horace » et « Hamlet-Machine », nous ont servis de matériaux afin de développer cette recherche sur la théâtralité de la parole, donnant suite à  des spectacles qui ont été présentés au théâtre du Galpon.

Actuellement nous poursuivons notre travail théâtral sur des extraits choisis de la pièce de Valère Novarina, « l’Origine Rouge ».

Je découvre avec ce texte, une parole, une matière qui confirme mon envie de diriger ma recherche vers un théâtre qui échappe au réalisme psychologique et tend à  la poésie.

Il y a une grande dimension musicale dans « l’Origine Rouge » et notre spectacle sera traversés par la musique, par la parole chantée. On ne saura pas si à  l’origine, dans le  Paradis, ce fut  d’abord la musique ou le verbe. Nous faisons de ce dilemme, la pièce maîtresse pour la construction du spectacle.

Le texte de Novarina nous permet donc d’explorer toutes les virtualités sonores, visuelles, sémantiques et rythmiques de la parole. Au presque chanté, aux marges du chant, à  la syncope, à  la chute de la parole dans le chant, bref toutes les possibilités de la voix.
Avec Valère Novarina, que de flux poétiques versés, répandus, proférés par une pluralité de voix !

Valère Novarina m’intéresse car il interroge les ciments du théâtre traditionnel. Il est irrévérent, même transgressif, vis-à -vis de la dramaturgie traditionnelle : pas de fable linéaire, ses pièces n’obéissent pas à  aucune progression dramatique.
Il y a quelque chose comme la volonté d’enlever le théâtre au roman et de le rendre à  la poésie, de l’arracher aux arguments et de le rendre à  la danse et peut-être de parvenir à  la vivacité du ballet sans argument, au drame pur de l’espace. »

La manducation de la parole

« Croquer la pomme » est une expression usuelle qui peut susciter des images mentales, religieuses et érotiques. L’alimentation, la reproduction, l’origine, notre origine et celui du langage. Thèmes que l’on trouve dans « L’Origine Rouge ».

Notre spectacle sonde les représentations de l’Eden. Adam et Eve sous l’arbre de la connaissance, où se love le serpent tentateur, transgressent l’interdit divin et découvrent le bien et le mal qui font d’eux des êtres humains et aussi des S.D.F. Des S.D.F. en perdition, en dérive métaphysique, tel un Tati, un Grock, un Buster Keaton. Des êtres qui sont montés et démontés en permanence.

Il y a de la matière ludique dans « l’Origine Rouge ». Valère Novarina se livre de façon très jubilatoire à  une sorte de détournement ludique de certains passages de la Genèse.

La langue de Valère Novarina est pulsionnelle, jubilatoire. Novarina à  l’instar de Rabelais, de Jarry lutte contre « les paroles gelées», contre la langue sclérosée de la communication de tous les jours, une langue pour des chanteurs culs-de-jatte.

Mais il y a aussi une dimension satirique, corrosive, qui nous interpelle dans la langue de Valère Novarina. Cette dimension satirique a pour cible principale la politique, la presse écrite, le journalisme télévisuel et l’image sociale et galvaudée de l’homme qu’ils véhiculent. La télévision nous trompe sur le réel et les conséquences en sont graves. « On meurt par glissement de mots des pays sont bombardés par glissements progressifs du langage », écrit Valère Novarina.

Il y a un capharnaüm verbal chez Novarina qui fait écho au monde d’aujourd’hui tel qu’il nous est présenté à  travers les médias. Interroger le langage et en restituer le souffle c’est donc pour lui un moyen de parler du monde et d’ausculter l’humain. Donc pas de gratuité ni de délire purement ludique ou formaliste.

Pour Novarina  croquer la pomme et parler vont ensemble :
«  Mâcher et manger le texte. Le spectateur aveugle doit entendre croquer et déglutir, se demander ce qui se mange là  sur ce plateau. Pas tout couper, tout découper en tranches intelligentes. La parole forme plutôt quelque chose comme un tube d’air, un tuyau à  sphincters, une colonne à  échappées irrégulières, à  spasmes, à  vannes, à  flots coupés, à  fuite, à  pression. C’est en partant des lettres, en butant sur les consonnes, en soufflant les voyelles, en mâchant, en marchant cela très fort, que l’on trouve comment ça respire et comment c’est rythmé. » (lettre aux acteurs)

La composition de l’acteur

L’acteur, pour Valère Novarina, doit être avant tout un passeur de mots. Il n’est qu’une bouche d’où sort la parole. « Faut des acteurs d’intensité, pas des acteurs d’intention »  écrit-il dans La lettre aux acteurs.

Pas d’incarnation d’un personnage dans un corps mais au contraire la nécessité pour l’acteur d’effectuer en entrant sur scène « une sortie de l’homme ». Le corps de l’acteur est à  la fois convoqué car il est nécessaire à  l’expression pulsionnelle de la parole et en même temps nié. L’acteur au sommet de son art, dit Novarina, est une marionnette qui tire ses propres fils.

L’acteur fait l’offrande de son propre corps et c’est à  ce prix qu’il peut parler de l’homme au-delà  de toutes les représentations convenues ; exposer devant nous l’homme ouvert, en fragment, retourné comme une peau de bête, « en anatomie ouverte et grammaire apparente » sans « le pâteux de la psychologie. »

L’Espace Scénique

Ca déménage  dans les murs du Galpon. Nous les avons creusés pour aller vers une dimension cosmoagonique. Pour trouer la représentation afin de rendre présent l’esprit du théâtre Novarinien et bien sûr avec l’intention de mettre en évidence, une dernière fois, la polyvalence du Galpon.

Un décor donc fait avec des décombres. La matière d’un théâtre, son architecture, c’est du vide rempli des lignes de force qui surgissent seulement au moment de l’acte. Nous voulons déployer la parole dans toutes les plies de cet espace qui nous échappe!

L’espace scénique cherche un cadrage serré pour exalter la voix et pour offrir au public une concentration et une intimité afin de déguster cette parabole jubilatoire et amusée de l’origine de l’antrophopitecus des rondeurs et des respirations, l’érotisme et la liturgie. La diagonal et la perspective renversée

«On dit qu’il y a l’espace intérieur et l’espace extérieur. Je n’y ai jamais cru. En tout cas on voit bien, au théâtre, ces deux espaces reformer le même… On y voit par instants que l’univers est à  l’intérieur du langage. Le langage est l’espace contenant tout. Le vrai sang des choses est à  chercher au fond des mots.
J’essaye de lutter, de me battre, avec beaucoup d’autres, contre l’image mécanique de l’homme qui toujours en nous se reconstitue. Contre ce monde binaire qu’on nous impose : de surface, sans profondeur, réduit aux images plates… Plates à  mourir, diraient les Québécois… Se battre contre l’idée d’une vie sans traversée, contre une pensée sans fugue, sans perspective et sans respiration » Valère Novarina

« L’ORIGINE ROUGE est un archipel d’actes,
un faisceau d’actions non résolues :
cascades de duos,
liturgies de cirque,
lamentations,
paysage parlé ,
tarentelles,
semi-ritournelle sur place ,
double drame pronominal sur un transat,
chronomachie
Autant de figures d’attractions, comme autant de mouvements d’un ballet.
LA FEMME DU SEPARACIDE essaye de mettre en ordre les ancêtres de l’homme; puis elle accouche. »

Ecouter aussi : Le Galpon demande un enterrement de première classe. 7 avril 2008. Avec Gabriel Alvarez, par Jacques Magnol.

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