L’avenir du luxe est lié au talent des conteurs

L’aspiration au luxe est une tendance en forte progression malgré l’incertitude en matière économique, l’arrivée d’une nouvelle génération, dite aisée et que l’on prétend soucieuse d’éthique et de développement durable, requiert la création d’une nouvelle mythologie.

Le goût de l’ornementation a engendré le développement des arts décoratifs

Le penchant naturel qu’éprouve l’homme pour le luxe, et que l’on remarque dès l’enfance et la jeunesse de l’homme où il prend la forme de l’amour de la parure, soutiendra-t-il l’industrie du luxe ? C’est très possible. L’augmentation du nombre des riches s’accompagne d’autant plus d’un emballement des achats de luxe et d’hyper-luxe qu’existe, selon le philosophe français Yves Michaud, auteur de Le nouveau luxe : « une permanence existentielle, anthropologique et même ontologique du luxe. Celui-ci est dans l’ordre des choses, c’est à dire dans l’ordre des comportements humains naturels. Le goût du luxe fait partie des dispositions humaines parce qu’il répond au désir de différenciation et de distinction, parce que le luxe donne du plaisir et qu’il introduit dans nos vies dépense, excès et intensité. » Cet attrait pour le luxe est aussi ancien que l’humanité relevait déjà l’historien Henri Baudrillart dans son Histoire du luxe (1880) : « L’homme est porté naturellement à orner tout ce qui l’environne ou le touche, et d’abord ses ustensiles, ses habits, sa personne. C’est le goût de la parure qui a engendré le développement des arts décoratifs. L’amour du changement, ou l’inquiétude du mieux, les raffinements en appellent de nouveaux et assurent la continuité de la demande ! »

J’aime le luxe, et même la mollesse,
Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
La propreté, le goût, les ornements :
Tout honnête homme a de tels sentiments.
Voltaire. Le Mondain. (1736)

Épisodiquement, divers régimes ont tenté de contrôler et réduire ce penchant naturel. L’histoire est riche de ces lois somptuaires édictées de la Grèce Antique au Moyen Age, de Byzance à la Réforme, qui permirent d’endiguer temporairement les parures trop voyantes mais jamais sans susciter de vives protestations. Leur succès fut de courte durée. Ainsi, en 215 av. J.C., du temps du « pré-calviniste » Caton l’Ancien, la Lex Oppia établit que les femmes ne pouvaient s’orner de plus de 15 grammes d’or, ni ne pouvaient arborer de vestimentum versicolor.

Cette loi qui déplut aux femmes romaines ne fit pas long feu, tout juste vingt ans. Un jour de l’année 195, les femmes se mirent en route vers les places publiques afin d’en revendiquer l’abrogation. La participation féminine à cet événement est relatée par Tite Live qui nous indique que les femmes congestionnaient les rues et exhortaient les citoyens à voter en faveur de l’abrogation de la Lex Oppia. Ce qui fut obtenu grâce à la Lex Valeria Fundania. La mobilisation féminine de 195 avant J.C. à propos de l’abrogation de la Lex Oppia semble avoir été – selon la Revue Internationale des droits de l’Antiquité – la première d’une telle ampleur.

A la poursuite de ce bien imaginaire, l’opinion

Dans une société de masse, et surtout de masse de millionnaires et de milliardaires, l’ostentation est le plus sûr moyen de se singulariser et l’augmentation du nombre des riches – associée à la démocratisation du luxe – ne peut qu’amplifier les achats de luxe. « La démocratisation même du luxe, (Deloitte) sans perdre en exclusivité, le rend accessible à de nouveaux marchés et à de nouveaux clients », à des privilégiés qui goûtent ce luxe que, dans le Mondain,  Voltaire proclame délicieux, du moins pour les riches et les grands États. Et Baudrillart de conclure : « La richesse est de toutes les supériorités la plus universellement appréciée, la plus visible, la moins aisée à contester. Riche, on voudra paraître ce qu’on est, et même un peu au-delà ; pauvre, on voudra paraître ce qu’on n’est pas, c’est à dire riche, du moins dans une certaine mesure ; cela n’est pas impossible, car si la richesse ne s’emprunte pas, les signes de la richesse s’empruntent et peuvent être imités. Telle est la nature de ces vanités inquiètes, ardentes à la poursuite de ce bien imaginaire, l’opinion. »

Aux marques désormais de créer une nouvelle mythologie adaptée à l’époque pour initier de nouveaux amateurs à ces délices voltairiens. Si deux tiers des milliardaires dans le monde ont plus de 60 ans, les jeunes s’annoncent : la liste établie par le magazine Forbes en 2017, recense 56 millionnaires de moins de 40 ans. La nouvelle génération se flatte également de privilégier un luxe éthique et en conformité avec les exigences du développement durable. De nouveaux critères de séduction restent à inventer, une opération qui passe, à l’époque 2.0, par une stratégie de narration capable d’associer un produit à une vision du monde.

Publié dans arts décoratifs, société