“On ne se tue pas repu, mais par excès d’appétit”

scène

© Pierre Leblanc

De mes propres mains, de Pascal Rambert, est le solo le plus captivant présenté récemment à  Genève, mais il n’est resté que deux jours. Dans un délai si court, le bouche à  oreille n’a pas le temps de se mettre en route, ce qui suscite nombre de regrets, c’est cependant le propre des festivals comme le Trans qui s’est tenu au Grü, début novembre.

“La tête dans une main et un révolver dans l’autre, il tâche de comprendre ce qui en lui l’a poussé à  être ce qu’il est devenu : un homme encore grandement affamé, mais néanmoins chassé du fastueux banquet de la vie. Car on ne se tue pas repu, mais par excès d’appétit”.

Durant les quinze premières minutes, dans l’espace noir de la Black Box du Grü, le spectateur est plongé dans le noir total. Ce spectateur désorienté, curieux, se laisse progressivement séduire par la voix féminine à  l’accent étranger, délicat, qui paraît se déplacer près de lui. Après ces quinze premières minutes, le temps de s’installer dans l’atmosphère, dans le texte, l’idée que la pièce entière pourrait se dérouler ainsi dans l’obscurité séduit.
Le noir est de rigueur pour ce texte sur le suicide où l’homme se livre à  un processus impitoyable d’introspection « si mon corps momie frissonnante de vie supporte l’adversité que déclenche en soi la folie d’oser soudain vouloir connaître qui je suis qui alors dira non qui alors se dressera face à  moi les armes à  la main pour prévenir l’épouvante que ce voyage réserve à  l’homme de courage… » Un texte que Pascal Rambert a voulu sans ponctuation : « La façon dont est écrit de mes propres mains, fait qu’on peut en effet créer sa propre compréhension, et son propre système grammatical. Le spectateur n’a pas d’orientation, il y a plusieurs sens possibles et chacun peut ainsi construire sa propre histoire». Chacun peut aussi plonger dans son histoire, depuis l’enfance en passant par « la chambre où gazés pourrissants sur pourrissants s’entassent les cadavres des illusions tétées au lait trompeur de l’enfance où dépouilles sur dépouilles brûlent sur des bûchers les fumiers de l’orgueil et de la jalousie ».

Ce texte noir n’abandonne jamais l’espoir « Il faut pousser plus avant, car à  chaque instant de la quête peut aussi surgir des profondeurs un salut » ni l’humour « dire en riant au droguiste donnez-moi s’il vous plaît une corde pour me pendre prenez celle-ci vous ne trouverez pas meilleure qualité avec ça faites-moi confiance vous ne laisserez derrière-vous que de la haine ». Complice, la lumière entretient le suspens, variant progressivement d’intensité pour dévoiler un corps hybride : “La lumière monte petit à  petit, on entend une voix féminine, mais petit à  petit c’est un homme qui apparaît. Des LED (Light Emitting Diode) éclairent par fragments le corps de la danseuse, et laissent apparaître au fur et à  mesure un corps masculin et féminin.
Le trouble se crée dans le fait que c’est une femme qui joue un homme”, de temps à  autre cet homme se voit en chien « du coeur de M. part une laisse accrochée au collier d’or qui entoure mon cou de chien à  New York j’attends que M. presse sur le bouton de l’enrouleur de la laisse pour que traversant l’Atlantique comme une météorite ma gueule d’animal amoureux vienne s’écraser sur le beau buste de M. pour lui manger le coeur».
Le jeu de Kate Moran magnifie le texte affuté et précis d’un Pascal Rambert qui ne nous amène pas sans risque à  plonger au cà“ur de l’homme,« eh oui monsieur le policier il faut souvent plonger pour connaître son identité »

Jacques Magnol

De mes propres mains / solo
Pascal Rambert texte, conception et réalisation
Kate Moran interprétation.
Pascal Rambert met en scène en 1993 de mes propres mains, créé au Théâtre des Amandiers, Nanterre avec Charles Berling.
Cette nouvelle version, pour son actrice fétiche, la new-yorkaise Kate Moran, prend la forme d’un solo parlé / dansé.

Directeur du Théâtre 2 Gennevilliers depuis janvier 2007, Pascal Rambert est né en 1962. Il commence à  écrire et mettre ses textes en scène en 1982. En 1984, il crée sa compagnie Side One Posthume Théâtre. De 2004 à  2006, il est artiste associé à  Bonlieu-scène nationale d’Annecy. En 2006, il est nommé directeur du Théâtre de Gennevilliers où il succède à  son fondateur, Bernard Sobel. Ses textes – publiés chez Actes Sud-Papiers et aux Solitaires Intempestifs – mis en scène par lui-même et par d’autres artistes sont créés en France, en Europe, aux aux Etats-Unis et au Japon.

De mes propres mains se joue du 19 au 23 novembre 2009 au Komaba Agora Theater de Tokyo.

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