La coupe du monde de football est aussi l’affaire des chamans et des marabouts

magie

Le féticheur Grand Maître Mayumbu © Jim Epopolo Mimbayi, Lemba-Kinshasa, Congo, 2008. Exposition Hors Jeu au Musée d’ethnographie, Genève, 2008-2009.

Pendant la coupe du monde, des acteurs particuliers ont fait quelques apparitions dans les médias : chamans, marabouts, sorciers africains, sollicités pour influencer l’issue des matchs. Que l’on puisse attribuer leur présence à  des traditions ancrées, à  l’attrait du pays organisateur, ou à  d’autres réalités, ces acteurs ont une importance non négligeable pour certaines équipes. Qui sont-ils et que font-ils ? Quel est le rôle joué par la magie dans le football ?
Des pratiquants aux pratiques, en Afrique du Sud et ailleurs : retour sur la question avec Christian Delécraz (conservateur au Musée d’Ethnographie et co-concepteur de l’exposition « Hors jeu – football et société » en 2008-2009).

Des pratiquants…

Chamans, marabouts, sorciers… les appellations de ces acteurs sont diverses, et il est nécessaire de les distinguer car elles ne font pas référence aux mêmes pratiques ni aux mêmes régions.
Tout d’abord, il y a les guérisseurs, qui interviennent a posteriori en venant en aide aux joueurs blessés lors des matchs, par exemple. Dans une autre catégorie, on trouve ceux qui visent à  influencer l’issue d’un match, comme les marabouts, des sages qui exercent plutôt en Afrique du Nord et n’utilisent pas forcément la magie, ou encore les chamans, qui se rattachent à  l’Amérique latine (entre autres).
En Afrique du Sud, on se réfère aux féticheurs ; c’est d’eux que nous allons parler ici. Leurs pratiques consistent à  s’appuyer sur des objets spécifiques – des fétiches – pour entrer en contact avec les forces occultes, les esprits des ancêtres, et les interroger sur le déroulement du match.

Qu’en est-il chez nous ? Comme le souligne Christian Delécraz, même si nous n’avons pas le même rapport aux ancêtres en Occident, « chaque société a ses méthodes pour tenter de maîtriser son destin », et dans les sociétés contemporaines ces méthodes se voient aussi, même si elles apparaissent de manière moins visible.
Les joueurs européens ont aussi leurs croyances, leurs pratiques ou rituels, qu’ils aient un fondement religieux ou non. Cependant, ces pratiques sont à  placer à  un niveau différent : des rituels personnels (mettre le même vêtement que celui porté lors d’une victoire, par exemple) sont à  distinguer des pratiques des féticheurs, car elles ne puisent pas dans la même source.

…aux pratiques

En Afrique, la magie fait partie du quotidien : elle est considérée comme une des manières d’agir sur ce qui échappe à  notre contrôle. Cela se voit dans diverses situations et le football en fait partie, car une part d’imprévu subsiste dans ce sport et la magie a pour vocation de maîtriser cet imprévu.

Lors de l’exposition « Hors Jeu », qui traitait du football et de son inscription au sein des sociétés, Christian Delécraz avait présenté une cérémonie et une interview d’un féticheur congolais. Une cérémonie en relation avec le football se fait en général avant le match, sans présence des joueurs. Et dans les cas où un féticheur est appelé à  exercer pendant le match – ce qui reste une exception – il le fait de manière discrète et à  l’abri des regards.

Par conséquent, il faut distinguer le folklore présent lors des matchs, au vu des caméras, des pratiques magiques réalisées dans un autre cadre. Christian Delécraz met en avant ce point important : « il y a l’aspect extérieur pour le public qui est là  aussi pour motiver les joueurs, pour motiver les foules, et il y a aussi ce qui se fait dans l’ombre, qui est tout à  fait d’un autre ordre. »

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Poupée vodou «FooTooKit» Poupée utilisée par un supporter italien lors de la Coupe du Monde d’Allemagne en 2006. Prêt Tim Ruata Photo: MEG Johnathan Watts

Le football, un sport-spectacle avec des acteurs émergents ?

Le football possède ses symboles et ses règles, donne un espace aux identités collectives de s’exprimer de manière puissante. Tout un imaginaire se construit autour de ce sport et dépasse une simple confrontation entre deux équipes. Pendant le match, des joueurs à  l’arbitre, chaque acteur occupe un rôle, un rôle indispensable (que serait le football sans les supporters?).
Le football est un sport médiatisé et avec le temps certains rôles se sont développés sous le prisme des médias. On pense, entre autres, à  l’importance accordée à  certains joueurs en dérivé du domaine sportif, à  leur statut d’icône dans les médias, à  la médiatisation de leurs femmes.

Les pratiques magiques et rituels ont certes existé depuis toujours. Toutefois, et l’on parle notamment des féticheurs, est-ce la médiatisation toujours croissante du football – avec ses enjeux économiques et politiques – qui contribue à  exposer des pratiques qui, à  l’origine, n’ont pas le but de l’être ? Assiste-t-on à  une démonstration de particularités nationales dont l’attrait est certain pour les étrangers, ou à  une émergence de nouveaux acteurs qui trouveraient une « niche » dans cet univers sportif ?

Ekaterina Ermolina

 

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Rappel:

Soucieux d’exposer des sujets d’actualité, le Musée d’ethnographie de Genève avait mis en scène le football dans une perspective anthropologique lors de l’Euro 2008. Certains décrivent ce sport comme un simple opium du peuple, d’autres comme un formidable outil de civilisation. L’exposition «Hors jeu» envisageait ce sport-spectacle avant tout comme une activité dont l’étude permet de s’interroger sur la complexité du monde dans lequel nous vivons.
Hors Jeu avait consacré une salle à  ces pratiques superstitieuses.

Un gris-gris dans la poche
L’univers du football est ponctué de rituels religieux et superstitieux qui servent à  maîtriser cet élément de chance et d’imprévu sur lequel formation, technique et entraînement n’ont pas beaucoup d’emprise. Il s’agit alors d’allumer une bougie et de prier la Vierge Marie, de disperser de l’eau bénite sur le terrain avant le début d’un match, de faire recours aux services de féticheurs ou d’astrologues, de pratiquer un rituel vodou, d’avoir un gris-gris dans la poche ou encore de porter un sous-vêtement porte-bonheur. Par ces actes, joueurs, entraîneurs et supporters cherchent à  s’attirer la faveur des dieux et à  conjurer le destin.

Dans les pays catholiques tels que l’Italie, l’Espagne ou l’Amérique latine, les terrains sont souvent bénits lors d’une cérémonie religieuse. Prières et signes de croix avant un match sont également récurrents chez les joueurs. Dans les pays africains, le recours aux services de féticheurs et de sorciers pour ensorceler les joueurs de l’équipe adverse, le terrain et le ballon, est une pratique courante. En 2003, en Tanzanie les deux plus grands clubs de football, Yanga et Simba, ont même été condamnés par la Fédération de football à  payer une amende pour avoir pratiqué des rituels de sorcellerie avant leur rencontre. Deux joueurs de Yanga avaient uriné sur le terrain pour neutraliser des substances, poudre et oeufs, jetées auparavant par leurs adversaires de Simba. Les heures avant une rencontre sont également rythmées par toutes sortes de rituels et de petites manies : s’asseoir sur le même siège dans le bus lors d’un déplacement, manger le même repas avant chaque rencontre, porter sa chaînette porte-bonheur ou encore enfiler sa chaussette gauche en premier. Répéter les mêmes gestes, match après match, permet aux joueurs d’acquérir une concentration optimale pour affronter la compétition.
(Extrait du texte du MEG).

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