La photographe Shirana Shahbazi reçoit le prix de la Société des Arts

Displacement_25, 2023, Hand-colored silver gelatine print on baryta paper on aluminium, in handmade ceramic frame

La Société des Arts de Genève est heureuse d’annoncer que le Prix de la Société des Arts de Genève 2025 (9e édition) a été décerné à Shirana Shahbazi, artiste établie à Zurich. Le jury salue son parcours artistique de premier ordre qui développe une approche unique du médium photographique.

L’œuvre de la photographe Shirana Shahbazi se caractérise par une approche conceptuelle exigeante qui interroge les fondements mêmes de la photographie. Sa pratique explore les dualités inhérentes au médium : sa précision documentaire, capable de représenter fidèlement le réel, et sa capacité à saisir l’éphémère ou à engendrer des constructions entièrement imaginées. À travers portraits, paysages, natures mortes, mais aussi compositions purement abstraites, Shahbazi joue sur l’ambiguïté entre représentation et abstraction, vérité et simulacre. Son regard, nourri par ses voyages en Europe, au Japon, en Inde et en Iran, se déploie dans une esthétique cosmopolite qui refuse les assignations identitaires strictes et met en scène une réalité mondialisée.

Formée à la photographie, elle reste attachée à des techniques traditionnelles comme l’Ektachrome ou la sérigraphie, tout en élargissant son champ de travail aux tapis noués main, aux affiches peintes par des artisans iraniens ou encore aux surfaces murales. Cette transposition d’images d’un support à un autre lui permet de déstabiliser les attentes du spectateur et de donner à voir la photographie comme une construction. Chaque exposition devient ainsi une recomposition : ses images, juxtaposées comme des fragments de collage, se renouvellent sans cesse selon le contexte d’installation.

La dimension architecturale et spatiale est centrale dans son œuvre. Ses expositions ne se limitent pas à présenter des photographies, mais incluent des peintures murales, des papiers peints, des surfaces céramiques ou encore des installations monumentales. Elle a également contribué à des projets d’architecture, comme la rénovation du siège de la Zürcher Kantonalbank (2015), l’aménagement d’un bureau pour Axel Springer (2017) ou la conception, en 2025, de la façade de la House for Five Women en Bosnie-Herzégovine, lieu d’accueil pour des femmes victimes de guerre et de violences.

Dans ses compositions, l’artiste associe des genres issus de l’histoire de l’art — portrait, nature morte, paysage — à des expérimentations proches de la peinture abstraite. Elle photographie des volumes géométriques peints, qu’elle fait tourner pour multiplier les points de vue, créant des champs visuels de couleurs et de formes qui interrogent la perception de l’espace. Par ailleurs, ses clichés nocturnes de Téhéran témoignent de son intérêt pour l’urbanité et ses atmosphères, sans chercher à identifier précisément des lieux, mais en restituant une expérience sensorielle de la ville.

Son esthétique combine précision technique et sensibilité picturale. Les contrastes de couleurs vives et de noirs profonds rappellent aussi bien l’abstraction constructiviste de Lyonel Feininger que la rigueur photographique d’Andreas Feininger. À travers ces jeux de lumière, de structure et de format, Shahbazi compose un espace visuel qui excède le cadre photographique et s’étend dans l’architecture d’exposition.

Au cœur de son œuvre se trouve une interrogation sur la nature de l’image photographique : est-elle un reflet de la réalité ou bien une fiction construite ? Shahbazi montre que toute perception est conditionnée par des cadres culturels et sociaux, et que la photographie, loin de simplement reproduire le monde, en propose une mise en scène. Qu’elle juxtapose des paysages de montagnes, des vues urbaines ou des compositions abstraites, l’artiste compose un champ d’images hétérogènes où se brouillent frontières géographiques et identitaires.

Ainsi, Shirana Shahbazi se situe dans une tradition qui rapproche la photographie de la peinture et de l’installation. En transposant ses images sur différents supports et en variant échelles et combinaisons, elle invente une réalité autonome et plurielle, qui engage le spectateur dans une expérience perceptive toujours renouvelée, oscillant entre familiarité et étrangeté, figuration et abstraction.

Pour l’exposition de la 9e édition du Prix de la Société des Arts, Shirana Shahbazi présente un ensemble de travaux qui se distinguent par leur diversité formelle, offrant un aperçu des différentes manières d’entrer en relation et de travailler avec l’image photographique. Dans la Salle Crosnier, Shirana Shahbazi présente une série de photographies argentiques enchâssées dans des cadres en céramique réalisés par l’entreprise spécialisée Mutina. Ces images sont le résultat d’un processus en plusieurs étapes. L’artiste débute par le dessin et la réalisation de maquettes architecturales, qu’elle photographie. Elle intervient ensuite manuellement pour apporter la couleur sur les tirages analogiques en noir et blanc. Au croisement de l’image, de la peinture et de la sculpture, cette série traduit l’attention constante que Shirana porte à la matérialité de son médium. La salle attenante propose un film projeté au sein d’une architecture indéfinie. Cette exposition offre un aperçu de la richesse de la pratique de Shirana Shahbazi et de sa manière unique de faire dialoguer image, matière et espace.

Shirana Shahbazi– by Anne Morgenstern

Photographe et artiste visuelle d’origine iranienne, Shirana Shahbazi vit et travaille à Zurich. Elle a grandi en Allemagne et a étudié la photographie à la Hochschule für Gestaltung und Kunst de Zurich.

Du 19 septembre au 18 octobre.
Société des Arts de Genève
Palais de l’Athénée. Rue de l’Athénée 2. Genève.

Le Prix de la Société des Arts de Genève / Arts Visuels distingue depuis 2009, tous les deux ans, un·e artiste suisse ou établi·e en Suisse, dont le travail a déjà été remarqué sur la scène suisse et internationale. S’inscrivant pleinement dans l’histoire des activités de la Classe des Beaux-Arts, le Prix de la Société des Arts de Genève / Arts Visuels représente une reconnaissance du travail d’artistes engagé·e·s dans l’art contemporain, à un moment clé de leur parcours, leur offrant un coup de projecteur ainsi que les moyens
financiers pour poursuivre leur œuvre. Dotée d’un montant de CHF 50’000.-, réuni grâce aux dons et legs exclusivement assignés à la remise des prix par la Société des Arts, cette distinction est complétée d’une exposition personnelle présentée au Palais de l’Athénée ainsi que d’une publication.

Lors de ses précédentes éditions, le Prix a été attribué successivement à Francis Baudevin (2009), Christoph Büchel (2011), Gianni Motti (2013), Sylvie Fleury (2015), Mediengruppe Bitnik (2017), Renée Levi (2019), Fabrice Gygi (2021) et Bea Schlingelhoff (2023).

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