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 Au Théâtre de la Parfumerie, Gabriel Alvarez montre Jocaste avec Clara Brancorsini dans la sobre intimité d’une chambre où le lit triangulaire évoque la relation entre la femme et le père, le fils et l’amant. Après Heiner Müller et Gilles Novarina, Gabriel Alvarez boucle avec la Jocaste du texte de Michèle Fabien une série de travaux centrés sur la parole.
Le metteur en scène a choisi ce texte « poétique, au caractère politique fort et chargé d’une certaine sensualité qui donne la parole à une femme muette depuis 2500 ans. Personne ne connaît vraiment la personnalité de la mère d’Oedipe, elle est muette car au moment où elle s’est pendue, Oedipe est devenu le protagoniste de l’histoire.
Inceste ou pas, Jocaste veut continuer à vivre avec cet homme. Il s’agit donc d’un texte sur le désir en général, et celui de la femme en particulier. »
C’est un texte difficile qui demande la concentration du spectateur. L’histoire commence par la fin, Jocaste est en train de se pendre et Oedipe s’est déjà crevé les yeux, elle se reconstruit alors dans le labyrinthe des visages de Jocaste tour à tour reine, épouse, mère, amante et bien sûr femme. Jocaste survit ensuite, incarnée par la parole, habillée seulement des textes grecs qui s’affichent sur son corps nu.
Jacques Magnol
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Jocaste, direction artistique Gabriel Alvarez, jeu : Clara Brancorsini. Du 28 octobre au 15 novembre 2009, La Parfumerie. Genève. 022 341 21 21.
Note de Gabriel Alvarez: Qui est cette femme ?
Jocaste est la reine de Thèbes, épouse d’à’dipe, étranger monté sur le trône après avoir vaincu le Sphynx et sauvé la ville du monstre. Après dix-sept ans passés auprès de son bien aimé, elle découvre que ce dernier, le père de ses quatre enfants, n’est autre que son propre fils. L’oracle disait vrai, Jocaste se pend. à’dipe se crève les yeux et la peste s’abat sur Thèbes.
Le rythme du spectacle est fondé sur la répétition, la variation et la combinaison d’images et de différents points de vue du mythe. L’absence d’un développement linéaire du texte confère au rythme une place primordiale dans la réception par le spectateur.
Extrait du texte de Michèle Fabien
Elle s’appelle suicidée, cette femme immonde et qui est morte seule et souillée sans que les regards de la cour et des devins, des bergers et des messagers n’aient cherché la trace de son corps. Transparente pour cause d’horreur.
Muette…
Écoute… un tout petit écho, et qui vient de si loin…Â « C’est moi qui vous dirai l’horreur de ce qui s’est passé, que vous n’avez pas vu. Mais vous saurez, autant que ma mémoire s’en souviendra, ce qu’a souffert la malheureuse. Folle d’horreur, elle a couru au lit nuptial, s’arrachant à pleines mains les cheveux.
Elle entre, claque violemment les portes derrière elle, invoque Laïos, le roi défunt et son premier époux : elle se remémore le passé, cet enfant qu’il lui fit et par qui il mourut, et les enfants, qu’elle eut elle-même, de son fils parricide. Elle gémit, misérable, sur cette couche où tour à tour elle enfanta un époux de son époux, et des enfants de son enfant.
Après cela… je ne sais pas comment elle a péri, car à’dipe s’est précipité en hurlant, alors, ce n’est plus elle, mais lui qui a captivé nos regards ».
Michèle Fabien