Le Conseil fédéral semble avoir pris en grippe les monuments historiques

graphique budget en faveur du patrimoine

Développement des moyens financiers de la Confédération dans le domaine du patrimoine culturel et monuments historiques (Source OFC), état au 31.08.10 (Mio. CHF).

Si l’Agenda 21 considère la culture comme le quatrième pilier du développement durable, le Conseil fédéral ne prend pas au sérieux le patrimoine en matière de préservation et de création d’emplois.

Un patrimoine en cours de dégradation

Le 23 février dernier, le Conseil fédéral a ainsi réduit le budget en faveur du patrimoine culturel et des monuments historiques de 30 millions à  21 millions, un montant nettement inférieur à  la moyenne de ces dernières années, provoquant la consternation de Patrimoine suisse:
“Une fois de plus, le Gouvernement ne prend pas le mandat du Parlement au sérieux dans le présent «Message culture» et fixe le crédit d’engagement pour la période 2012-2015 à  quelque 21 millions de francs par an. Il faut le signifier clairement au Conseil fédéral: cette fâcheuse tactique du salami a assez duré. Dans le cadre du «Message concernant l’encouragement de la culture pour la période 2012 à  2015», au moins 30 millions de francs par an doivent être consacrés à  la protection de nos monuments historiques. Les 6,75 millions de francs de «crédits de paiement» que le Conseil fédéral entend mettre encore à  disposition annuellement ne serviront qu’à  financer des projets déjà  approuvés.
La réduction de la manne fédérale au cours de ces dernières années a affecté de nombreuses restaurations auxquelles il faudrait s’attaquer d’urgence. Les dommages aux objets protégés et les coûts d’assainissement qu’ils entraînent augmentent. Les dégâts aux bâtiments de valeur risquent de croître de manière exponentielle.”

Le Parlement a déjà  corrigé le Conseil fédéral à  quatre reprises
Après la réduction des fonds fédéraux, d’une moyenne de 38 millions de francs par an dans les années 1993-2004 à  environ 28 millions de francs à  partir de 2005 (programme d’allègement 2003, redistribution des cartes au sein de l’Office fédéral de la culture) et à  peine 21 millions en moyenne au budget de la période 2008-2011, le Conseil national et le Conseil des Etats se sont fort heureusement prononcés en faveur d’une correction lors des débats sur les budgets 2007, 2008, 2009 et 2010. Le Conseil fédéral n’entend pourtant pas modifier son projet de budget pour 2011, bien que des fonds supplémentaires soient nécessaires de toute urgence.

Patrimoine suisse s’inquiète que “les demandes qui ne peuvent être prises en considération soient renvoyées à  la période financière 2012-2015, alors même que le projet fraîchement publié de “Message concernant l’encouragement de la culture” prévoit également un budget réduit pour cette période. Les dommages qui en résulteront aux objets sous protection et les coûts d’assainissement ultérieurs augmenteront d’autant durant cette période. La liste d’attente des demandes s’allonge, parce que l’équilibre qui régnait avant 2004 n’existe plus. L’attente sur la voie de garage conduit irrémédiablement à  la perte partielle ou totale de bâtiments de valeur. Les dommages qui menacent les monuments historiques présentent une croissance exponentielle.”

Dans ses “10 arguments favorables à  un relèvement des fonds fédéraux dans le domaine du patrimoine culturel et des monuments, “Patrimoine suisse relève que “le tourisme est une branche économique importante en Suisse (5,1% du produit intérieur brut; 335’000 places de travail). La publicité touristique repose sur des images impressionnantes par leur beauté. Nos sites et monuments historiques constituent, avec les paysages, le principal capital de la branche du tourisme, et sont d’une remarquable importance pour le marketing touristique. Si l’on ratiocine au niveau du patrimoine culturel et des monuments historiques, on affaiblit à long terme une base économique importante de la Suisse”.

Les monuments historiques en té‚te de classement
La visite de sites et de monuments historiques ainsi que la fréquentation des salles de concert et de cinéma sont les activités culturelles préférées des Suisses. Plus de deux tiers de la population profitent de l’offre qui leur est faite en la matière. Telle est la conclusion d’un sondage représentatif réalisé l’année passée par l’Office fédéral de la statistique au sujet des activités culturelles des habitants de la Suisse, à la demande de l’Office fédéral de la culture.

Le Conseil fédéral veut-il torpiller le marketing touristique ?

Le 2 mars, la Fédération suisse du tourisme a accusé le Conseil fédéral de “torpiller le marketing touristique international” et regretté “la réduction des moyens pour le marketing touristique pour la période 2012 à  2015 de 191 à  171 millions de francs suisses. Cette décision est d’autant plus difficile à  comprendre que le Conseil fédéral avait adopté pour la place touristique suisse, en 2010, une stratégie de croissance. Le Parlement est appelé à  réagir et à  poser les bons jalons pour renforcer le marketing international”.

Le patrimoine est un « levier culturel » de premier plan

Près de 6% des recettes suisses d’exportation proviennent du tourisme. L’existence d’un patrimoine naturel et/ou culturel constitue un atout majeur tant pour un pays qu’une ville. Il lui donne un avantage compétitif et contribue à  sa visibilité et à  son attrait, à  condition qu’il soit valorisé.
Selon l’étude réalisée par par Ineum Consulting en 2009, dans le cadre du Forum d’Avignon, “les stratégies culturelles gagnantes sont celles qui permettent à  un territoire de capter une part importante du potentiel de création de valeur économique par le développement de son attractivité culturelle.
Ces stratégies s’appuient toutes sur des « leviers culturels » bien identifiés, seuls ou en combinaison, ces leviers ont été classés en cinq catégories :
– le recours à  des alliances en matière d’ingénierie culturelle ;
– la valorisation d’un patrimoine bâti ou immatériel ;
– l’implémentation d’un équipement culturel architectural ;
– le lien entre l’investissement culturel et le schéma d’urbanisation ;
– le développement de pôles d’excellence culturels.”

Et de conclure: “L’existence d’un patrimoine naturel et/ou culturel constitue un atout majeur pour une ville. Il lui donne un avantage compétitif et contribue à  sa visibilité et à  son attrait, à  condition qu’il soit valorisé. Au-delà  des retombées touristiques, la mise en place d’activités culturelles, de communication ou de valorisation du patrimoine peuvent avoir un impact fort en termes de développement économique (création d’emplois qualifiés, fixation d’activités tertiaires à  haute valeur ajoutée, création de pôles d’excellence, etc.)”

Les études produites par la Direction générale de l’éducation et de la culture de l’Union européenne montrent que l’emploi dans le secteur culturel a progressé alors que l’emploi total diminuait dans l’Union. La croissance continue des emplois créatifs du secteur culturel est soutenue par la culture numérique, et la forte progression de la demande des ménages et des sociétés en produits et services culturels. Les restrictions budgétaires au détriment du patrimoine risquent d’affaiblir à long terme une base économique importante de la Suisse.

Jacques Magnol


Rappel: Patrimoine culturel (définition)
Selon la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de l’UNESCO (16 novembre 1972), sont considérés comme “patrimoine culturel” :
(a) les monuments : oeuvres architecturales, de sculpture ou de peinture monumentales, éléments ou structures de caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupes d’éléments, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science,
(b) les ensembles : groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leur architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science,
(c) les sites : oeuvres de l’homme ou oeuvres conjuguées de l’homme et de la nature, ainsi que les zones y compris les sites archéologiques qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue historique, esthétique, ethnologique ou anthropologique.

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