A Mexico, des négociateurs non-élus vont décider du futur de l’Internet pour obéir aux industries de la musique et du cinéma

L'intérieur de la prison Presidio Modelo, à  Cuba, construite sur le modèle du panoptique de Michel Foucault. Photo I. Friman.

Panoptique. L’intérieur de la prison Presidio Modelo, à  Cuba. Photo I. Friman. 

Les négociations sur l’Accord Commercial Anti-Contrefaçon (ACTA) commencent ce 26 janvier à  Mexico et se poursuivront jusqu’au 29 janvier 2010. Le but de cet accord est de contrôler Internet, tout en évitant soigneusement les processus démocratiques. L’accord est tant liberticide qu’il est négocié dans la plus grande discrétion. Étonnament, seuls les médias helvétiques omettent d’informer sur les dangers de la proposition de traité.

Des restrictions aux droits et libertés fondamentaux peuvent-elles être imposées par des acteurs privés ?

L’ACTA est une proposition de traité international multilatéral concernant les droits de propriété intellectuelle, la lutte contre les produits contrefaisants et les échanges illicites de fichiers sans autorisation des ayants-droit.
La Free Software Foundation a affirmé que l’ACTA menaçait directement le logiciel libre, entre autres en s’attaquant aux technologies peer-to-peer. Le traité rendrait aussi impossible l’utilisation de logiciels libres pour lire des médias (musique ou audiovisuels), ceux-ci devant être livrés avec des protections DRM.

Les négociations qui entourent cet accord sont effectuées secrètement et sont vivement décriées. Il imposerait aux pays signataires des limitations sévères sur le droit de la propriété intellectuelle touchant Internet et le commerce de produits protégés par ce droit. S’il était adopté, le traité établirait une coalition internationale destinée à  s’opposer aux violations du droit d’auteur, imposant une application stricte des lois sur le droit de la propriété intellectuelle dans différents pays. L’entente permettrait aux douaniers de fouiller des portables, des lecteurs MP3 et des téléphones cellulaires à  la recherche de produits qui violent le droit d’auteur. Il imposerait aussi de nouvelles obligations de coopérer chez les fournisseurs d’accès à  Internet (FAI), incluant la divulgation d’informations touchant leurs clients tout en restreignant l’usage d’outils informatiques protégeant leur vie privée. La proposition, comme elle est négociée en 2008, contiendrait un plan pour inciter les pays en voie de développement à  adhérer à  cette entente.

Selon Jérémie Zimmermann, porte-parole de La Quadrature du Net, “Sans contrôle d’organisation démocratique et supervision démocratique, les conditions sont idéales pour que les lobbies du divertissement accomplissent leur rêve : imposer un régime de copyright fondamentalement inadapté en vue de contrôler l’Internet et l’accès aux savoirs. Plus de 80 organisations non-gouvernementales du monde entier (dont Consumers International, Reporters sans frontière, la Free Software Foundation et l’Electronic Frontier Foundation) ont déjà  signé une lettre ouverte s’opposant fermement à  l’ACTA.
En créant une insécurité juridique pour les opérateurs d’Internet, l’ACTA les forcera à  céder sous la pression des industries du divertissement. L’ACTA obligera les fournisseurs d’accès à  Internet à  filtrer et enlever contenus et services, les transformant en auxiliaires privés de police et de justice. Nous ne pouvons tolérer que des restrictions aux droits et libertés fondamentaux soient imposées par des acteurs privés. Une telle modification du droit pénal par les gouvernements eux-même, dans l’opacité la plus totale, montre combien les personnes à  l’origine de l’ACTA haïssent la démocratie. Obéissant aux industries de la musique et du cinéma pop-corn, des négociateurs non-élus sont en train de décider du futur d’Internet. Nous devons les en tenir responsables et s’assurer qu’ils assumeront les conséquences de leurs décisions” conclut Jérémie Zimmermann.

Le droit d’auteur est un faux problème, les artistes ont besoin du numérique pour se faire connaître

Le respect du droit d’auteur est l’unique argument avancé par les industries de la musique ou du divertissement qui n’ont pas anticipé le changement profond de notre société que les nouvelles technologies amplifient, et pallier leur impuissance à  inventer un nouveau business model adapté à  l’époque du numérique. Plus de leur temps, les artistes, les musiciens, réfutent l’argument et utilisent les outils numériques pour se faire connaître avant de faire leur métier, soit se produire et donner des concerts. Du coté des consommateurs, quand la musique est achetée sur des plate-formes payantes et stockée sur des smartphones à  tout faire, qui voudrait encore se rendre dans un magasin et payer les prix imposés par les maisons de disques ?
Roland Le Blévennec, organisateur de Voix de Fête, du festival Musiques en été, et patron du Chat noir à  Genève, souligne l’importance des nouvelles technologies pour faire connaître les artistes. Ecouter l‘interview du 16 mars 2007. Il rejoint ainsi l’avis de Dorian Gray qui appelait à  ce que  l”on fauche sa musique’. Ecouter l’interview du 30 janvier 2007: “Il n’y a que les milliardaires pour se plaindre des téléchargements.’
L’idéologie du gratuit a bouleversé les comportements et elle ne cesse de s’étendre, surveiller plus, punir plus pour gagner plus ne représente certainement pas le concept innovant adapté à  une économie en mutation, même en travaillant le dimanche…
Le sociologue allemand Dirk Baeker pose la question : “Quelles idéologies et notions du futur émergeront de l’introduction, l’application, le réordonnancement et l’expansion de l’Internet en tant que “phénomène jumelé de technologie et de société” ?

Jacques Magnol

Pour en savoir + :
La Quadrature du Net (dossier complet).
ACTA, une menace pour Internet ? Le Point.
ACTA: Menace globale pour les Libertés (Lettre ouverte)
Accord commercial anti-contrefaçon. Wikipedia.
Dispositions actuellement négociées relatives à  Internet.
L’ACTA, le traité secret qui doit réformer le droit d’auteur. Le Monde.
ACTA : pourquoi Internet crie au grand méchant loup. Rue89.
What is Acta and what should I know about it? The Guardian.
– France: le Parti pirate s’invite aux régionales 2010.
– Internet: la France plus risible que l’Italie. On parle beaucoup d’un projet de loi polémique en Italie. Un autre similaire en France est passé en silence. Slate.fr
– En Suisse: silence.

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Un commentaire pour “A Mexico, des négociateurs non-élus vont décider du futur de l’Internet pour obéir aux industries de la musique et du cinéma
  1. cancro dit :

    Je rejoins sur ce point la position de Tim Berner Lee, l’inventeur du World Wide Web, tant dans les usages politiques que commerciaux:

    “Je veux être certain que si je consulte une multitude de sites sur un cancer particulier, je ne vais pas voir ma prime d’assurance grimper de 5% sous prétexte que mon assureur est au courant de cela.”
    http://www.slate.fr/story/16479/hadopi-loppsi-les-censeurs-du-net-sorganisent