L’invitation à  la résistance de Thomas Hirschhorn

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Thomas Hirschhorn. Esquisse pour “Crystal of Resistance“, 2011.

A l’occasion de la sélection de Thomas Hirschhorn pour représenter la Suisse à  la Biennale de Venise, la Poste a mis en circulation un timbre réalisé par  l’artiste qui a si souvent provoqué l’emballement des politiciens irrités par la fonction politique de l’art.

 

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Thomas Hirschhorn apprécie le média populaire que représente le timbre poste :”Avec un timbre, je peux toucher un large public de non-spécialistes dans le monde entier, même des gens qui ne connaissent pas mon travail ou qui ne s’intéressent pas à  l’art. Cela me plaît.”
Le message que l’artiste confie au timbre poste invite à  la résistance mais aussi à  l’amour dont le “logo «I Love» est universel, simple, clair et positif. Il est utilisé pour tout et n’importe quoi. Partout dans le monde, on trouve des autocollants, des serviettes de bain ou des tasses qui portent le logo «I Love». Ils reposent sur le particulier, sur l’individu, le «moi», mais demandent à  l’interlocuteur de prendre position: “Et toi, qu’aimes-tu? Pour quoi t’engages-tu?”

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Thomas Hirschhorn. Esquisse pour “Crystal of Resistance”, 2011.

“Ce qui m’a incité à  travailler avec des cristaux est une expérience que j’ai faite il y a 15 ans. C’était sur une zone de stationnement au bord de la route vers le “Furkapass”, au dessus du glacier du Rhône. En revenant du glacier j’ai vu quelques enfants qui avaient étalé des cristaux sur des bouts de carton – certainement des cristaux qu’ils avaient eux-mêmes trouvés – pour les vendre. C’était une image simple, merveilleuse et universelle. Cette vision m’est restée et m’a marqué. Des enfants en Chine, en Russie, à  Mexico ou ailleurs dans le monde auraient pu faire de même. Depuis, j’ai voulu un jour faire quelque chose avec des cristaux.”

“Avec «Crystal of Resistance» je veux faire un travail irrésistible.

Choisi par l’Office fédéral de la culture pour représenter la Suisse à  la Biennale de Venise,Thomas Hirschhorn, qui vit depuis 1984 à  Paris, ne se voit cependant pas en représentant officiel de son pays “Parce qu’on dirait que mon exposition dans le pavillon suisse «représente» officiellement la Suisse pour la première fois. Ce n’est pas comme cela que je vois les choses. Si je dois «représenter» quelque chose, ce sera d’abord mon travail. Et ma conception de l’art. Ou bien la Suisse, mais je le fais depuis ma première exposition. Toujours et partout. Car je suis et je reste suisse”.

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Thomas Hirschhorn. Schema “Crystal of Resistance“, 2011.

“«Crystal of Resistance» est le titre de mon travail pour le Pavillon Suisse de la Biennale de Venise 2011. Avec «Crystal of Resistance» je veux poser trois questions à  travers mon travail: Est-ce que je peux – avec mon travail – créer un nouveau terme d’art ? Est ce que je peux – avec mon travail – établir un “Corps critique”? Et est-ce que je peux – avec mon travail – impliquer un “Public Non-exclusif” ? Je veux, en tant qu’artiste, répondre à  chacune de ces questions, à  chacun de ces objectifs et à  chacune de ces ambitions – dans mon travail et avec mon travail.
Je crois que l’art est universel, je crois que l’art est quelque chose d’autonome, je crois que l’art peut provoquer un dialogue ou une confrontation – d’un à  un – et je crois que l’art peut inclure chaque être humain. Si j’écris “croire”, je ne le fais pas seulement parce que je le pense ou parce que j’en suis convaincu – j’écris “croire” parce qu’il ne s’agit pas de savoir ou de connaître, ni d’en faire la démonstration ou d’en avoir la preuve. J’écris “croire” parce qu’il s’agit – en art – d’y croire.”

“Avec «Crystal of Resistance» je veux faire un travail irrésistible. Ce n’est possible qu’en m’efforçant de faire un travail qui vient de moi-même, qui ne vient que de moi-même, mais sans confondre – comme cela peut être le cas – ce qui vient de moi-même et ce qui est “personnel”. Je ne peux atteindre l’universel avec “le personnel”. “Le personnel” ne m’intéresse pas car il n’est pas résistant en soi, il est toujours explication – voire même excuse. Mon travail ne peut avoir d’effet qu’en transgressant les frontières du “personnel”, de l’académique, de l’imaginaire, des circonstances, du contexte et de la contemplation. Avec «Crystal of Resistance» je veux tailler une fenêtre, une porte, une ouverture ou simplement un trou, dans la réalité d’aujourd’hui. C’est cela le percement qui entraîne tout.

Je veux que le travail «Crystal of Resistance» soit perçu comme quelque chose d’autonome, qu’on soit à  l’intérieur d’un récipient ou d’une enveloppe pour que soit énoncé avec force: Ceci est un travail limité dans le temps et précaire. Je pense à  quelque chose de fin et de plat, à  une peau, à  une membrane, à  une coque ou une géode. Il ne s’agit pas de modifier l’espace donné du lieu d’exposition. Travailler “pour” ou “contre” l’architecture existante du pavillon suisse ne m’intéresse pas. Je travaille avec l’espace existant. Je ne suis pas intéressé par “nier” l’espace d’exposition – la question est de savoir si un travail peut s’affirmer avec autonomie dans un espace donné. Ce que je veux, c’est utiliser l’espace d’exposition disponible comme récipient pour mon travail et créer les conditions qui montrent que l’espace est le contenant qui accueille ou qui contient mon travail.”

 

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L’artiste a décidé de réaliser un site web pour informer à  propos de “Crystal of Resistance”. Il désire offrir de la matière  propos de cette nouvelle oeuvre et proposer un regard de l’intérieur – de lui-meme – au sujet de l’oeuvre qui sera montrée à  la Biennale de Venise. «Â Je veux montrer comment je travaille. Je veux expliquer d’où viennent mon inspiration, mes références et mon apport dans le travail pour cette biennale. Au-delà  de cela, mon site web vise à  défendre mon projet artistique en général et mon ambition en tant qu’artiste. » Thomas Hirschhorn fermera ce site web deux mois après la fin de la biennale.

L’artiste contemporain tient aujourd’hui à  affirmer la prééminence de sa position et de ses oeuvres qui sont prioritaires sur tout autre force, qu’elle soit commerciale, institutionnelle, médiatique, politique, religieuse, médiatique, etc. Thomas Hirschhorn est dans cet esprit quand il affirme tenir à  maîtriser sa communication «Â Je veux parler avec mes propres mots – au delà  du journalisme – à  propos de mes convictions, à  propos de ma volonté de créer par mon travail et seulement par mon travail, et je tiens à  le faire selon mes propres termes artistiques. »

Jacques Magnol. 21 avril 2011.

– Thomas Hirschhorn est l’un des artistes signataires de la pétition prônant le boycott du Musée Guggenheim d’Abu Dhabi pour protester contre les conditions de travail des ouvriers employés à  la construction du musée sur l’île de Saadiyat. Plus de 130 artistes, curateurs et écrivains ont menacé de boycotter et de refuser de coopérer sur le projet de musée. L’association Human Rights Watch a régulièrement documenté et condamné les atteintes aux droits de l’homme dont sont victimes les immigrés travaillant sur le projet de 800 millions de dollars US. « Ce groupe d’artistes éminents annonce clairement qu’il n’exposera pas ses à“uvres dans un musée construit par des travailleurs victimes d’abus et que les mesures prises à  ce jour par le Guggenheim et la TDIC sont inadaptées », a expliqué Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient de Human Rights Watch. « Si le Guggenheim et la TDIC ne tiennent pas compte des préoccupations des artistes, le musée risque d’être plus célèbre pour mettre en avant les violations du droit du travail que l’art. » (17 mars 2011).

Mise  jour. 3 mai 2011.

Venise, 03.06.2011 – Allocution du Conseiller fédéral Didier Burkhalter –

“Monsieur Hirschhorn, je suis heureux de faire votre connaissance aujourd’hui. Je sais que vous êtes un artiste passionné et remuant ; que vous parvenez à créer des installations à la fois exubérantes et rudimentaires, qui fascinent le spectateur.
A Venise, les visiteurs découvriront d’abord un homme soucieux de vérité, cherchant à donner une forme qui puisse créer les conditions de penser quelque chose de nouveau, d’inattendu.
Vous vous êtes souvenu d’un éblouissement ancien, comme nous en avons tous, enfouis dans nos souvenirs: pour vous, il s’agissait de cristaux étalés sur un bout de carton, vendus par des enfants qui les avaient probablement trouvés du côté du col de la Furka.
De cette image que vous qualifiez vous-même de «simple, merveilleuse et universelle» a surgi, bien des années plus tard, l’œuvre réalisée pour le pavillon suisse de la Biennale. Le motif du cristal, vous l’avez choisi pour sa beauté, sa rigueur et son ouverture. Tout ce qui rendra possible l’acte de penser ; et qui fait penser à notre pays, à la Suisse…
(…)
La liberté d’opinion, et la liberté de l’art, qui en est un élément indissociable, constitue la pierre angulaire de toute démocratie. On attribue à Voltaire la fameuse citation : «Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire». Cette phrase et surtout cette idée sont essentielles, belles et profondément démocratiques.
Mais la liberté de l’art et de l’artiste, de chercher et de créer, d’être curieux tout simplement, ne va pas de soi dans le monde d’aujourd‘hui. Cette liberté se perd bien trop souvent sur la route rocailleuse et aride de l’humanité. La liberté d’expression et la liberté de la culture ne sont pas des acquis. Il faut sans cesse les conquérir de haute lutte – c’est, au fond, ce qui relie l’artiste et le politique, dans une vision librement partagée.”

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