Moira Ricci : Ma mère et moi

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20.12.53-10.08.04″ © Moira Ricci.

Festival Images à  Vevey. La mémoire est mise en tension avec un travail de réintégration de la photographe Moira Ricci au coeur d’un vécu personnel en se projetant dans les photos d’un album de famille représentant une mère à  la vie tragiquement interrompue. Une manière d’interroger un deuil impossible à  partir d’une sorte de figure d’ange de la consolation que la fille photographe joue. Entretien.

Du 4 au 26 septembre 2010, la ville de Vevey est entièrement dédiée à  l’image. Le festival présente également les lauréats de deux concours qu’il organise : le Grand Prix Européen des premiers films et le Grand prix international de photographie de Vevey. Entièrement gratuit, le festival d’arts visuels Images réalise tous les deux ans des expositions monumentales et inédites dans les rues de Vevey et propose de nombreuses autres expositions dans des lieux dédiés à  l’image. Entre sa programmation et les événements parallèles, le festival présente plus de 50 projets artistiques d’envergure. Pendant trois semaines il transforme Vevey en un musée à  ciel ouvert.

Entretien avec Moira Ricci (en italien), première partie :

Deuxième partie, commentaires de Moira Ricci:

 

Le titre de la série – 20.12.53-10.08.04 fait référence aux années de vie de la mère de Moira Ricci. Il s’agit d’un travail intime et intrigant autour des thèmes de la mémoire, des générations et de la mort. Par photomontage, l’artiste usurpe
différentes places dans les photographies maternelles. Ce procédé lui permet de faire intrusion dans divers moments de la vie de sa mère, défiant les anachronismes et s’invitant à  des rendez-vous ou elle n’était pas conviée. Ses montages oscillent entre témoignage et voyeurisme. Omniprésente, elle fixe toujours sa mère, ce qui permet au spectateur de la reconnaître. Tantôt enfant, cousine, amie ou même esprit, Moira Ricci approche le sujet du deuil avec poésie. Ces collages, bien que biographiques rappellent le côté universel de l’album photographique. On y découvre une vie passée, où l’empreinte laissée dans la mémoire familiale se confronte au filtre du souvenir photographique.
L’exposition a lieu en plein air au  bas de la Grande Place à  Vevey jusqu’au 26 septembre.

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La jeune artiste d’origine toscane Moira Ricci a toujours travaillé sur ses racines, son histoire familiale, en les abordant par le photo montage, comme en témoigne sa réalisation « 20.12.53 – 10.08.04 ». Elle a débuté son travail en 2004, à  la disparition accidentelle de sa mère, dont le titre de la série présentée aux Rencontres de la photo d’Arles reprend les dates de naissance et de décès. L’album de famille maternelle contient des images prises avec une caméra bas de gamme, qui vont de la petite enfance jusqu’aux clichés montrant fiançailles et réunions familiales. « J’espère lui faire comprendre par mon regard qu’elle est en danger, j’attends qu’elle se tourne vers moi pour que l’on saute ensemble hors de l’image. Si cela ne devait pas arriver, alors je me ferais une raison, et je resterais dans les images, à  ses côtés, pour toujours », imagine Moira Ricci.

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Ages de la vie
Ces instantanés de sa mère, elle les photographie à  nouveau en y adjoignant sa présence. Une présence perturbante, car Moira Ricci se positionne à  plusieurs niveaux : figure protectrice ou tutélaire, figurante, témoin, fille, amie, adulte. C’est son regard qui dans chaque image indique la figure maternelle, nous aide à  la repérer, tant elle change de morphologie. « Elle a toujours joué avec sa mère, de son vivant, par la photo et la vidéo », explique la Commissaire de l’exposition Giovanna Calvenzi. Ricci pénètre littéralement dans la vie antérieure de sa mère en se conjuguant elle-même au passé dans ses habits et ses coiffures. Elle rejoue une forme de scène primitive comprenant les vacances à  la mer, à  la montagne, les cènes laïques sous formes de réunion de famille. Mais aussi l’enfance de sa mère dont elle devient une personne adulte, probable amie d’une parente de sa mère. Ses premières surprises partis aussi. Comme témoin, complice et figure du double possible jusqu’au vertige des identités, l’Italienne suscite un jeu de permutation des rôles, devenant  la mère de sa propre mère enfant. Elle est tout à  la fois spectatrice et metteure en scène, créant une dramaturgie de la vie maternelle depuis un au-delà , un hors champ réintégré. Elle observe sa mère depuis son enfance jusqu’à  l’âge de femme et suit ses métamorphoses.

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Jeux de mémoires
L’artiste réalise un double travail. D’une part sur le sentiment, la douleur, la nostalgie, le souvenir, et, d’autre part, un artisanat technique qui l’aide à  suppléer à  l’absence de l’être aimé, et poursuivre un dialogue avec lui. D’où sa tentative d’entrer au cà“ur ides mages en se déguisant jusqu’à  reproduire lumières et ombres originelles. « J’ai étudié attentivement chaque image originale de ma mère ainsi que la lumière, les ombres, l’atmosphère saisonnière, le moment précis de la prise, afin de m’y intégrer sous la forme d’autoportrait notamment. La chose la plus importante était d’imaginer où se trouvait ma mère dans la photo et établir une relation avec elle », relève l’artiste.

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La mémoire est mise en tension avec un patient et minutieux travail de réintégration d’une photographe au cà“ur d’un vécu personnel Une manière d’interroger un deuil impossible à  partir d’une sorte de figure d’ange de la consolation guidant un regard voulu empathique et compassionnel. On peut songer par instants au travail de travestissement et de jeu de rôles théâtralisé de Cindy Sherman, modèle pour l’artiste. Mais la finalité est toute autre. « Il y a un recourt à  un procédé simple comme souvent en art quand la réalisation est réussie, explique Hébel. Sidérante est cette accumulation par strates d’archives privées dans lesquelles elle s’est glissée sans volontairement se camoufler. »

Bertrand Tappolet


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Cet article de Bertrand Tappolet est paru la première fois le 29 août 2009 à  l’occasion des Rencontres d’Arles.

Moira Ricci aux “Rencontres d’Arles”

Exposition jusqu’au 13 septembre 2009
Rencontres de la photographie. Arles

www.rencontres-arles.com

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