Le passage de pouvoir au MoMA, devenu effectif fin septembre, marque un moment clé dans l’histoire contemporaine des musées. Christophe Cherix, en prenant les rênes, a indiqué des intentions claires : réinterroger la place des publics, intégrer les technologies sans renier l’expérience physique et repenser les expositions pour qu’elles résonnent avec le monde d’aujourd’hui.
Le départ de Glenn D. Lowry du Museum of Modern Art ne clôt pas seulement une ère administrative : il interroge le sens même du musée dans un monde saturé d’images et de contradictions. À la tête du MoMA depuis trente ans, Lowry aura incarné le paradoxe d’une institution devenue à la fois plus globale et plus fragile, plus ouverte et plus soumise à la logique du spectacle.
Car l’équation reste insoluble : comment concilier la rigueur du regard et la soif d’audience ? Comment défendre le pluralisme culturel sans céder à la fragmentation ou à la posture morale ? Dans le New York du selfie et du storytelling, le musée est sommé d’être à la fois espace critique et décor instagrammable. Le Rain Room ou The Artist Is Present ont attiré des foules inédites, tout en faisant basculer le musée du côté du spectacle. À l’inverse, les expositions plus risquées — comme le désastreux Björk — ont rappelé la fragilité d’un modèle soumis à la double tyrannie du marché et du buzz.
Lowry a tenté de transformer cette tension en méthode : abolir les frontières entre disciplines, entre continents, entre statuts des œuvres. Il a défendu une histoire de l’art mondialisée, polyphonique, en fondant notamment le programme C-MAP, réseau de chercheurs et de curateurs ancrés dans d’autres géographies. Le MoMA s’est fait moins dogmatique, plus curieux — et plus conscient de sa position centrale. Mais derrière la vitrine du pluralisme, l’institution n’a jamais cessé d’interroger son propre pouvoir : qui écrit aujourd’hui le récit de la modernité ? Et pour qui ?
C’est à Christophe Cherix que revient désormais la tâche de répondre à ces questions. Historien de l’art et fin connaisseur du MoMA, il hérite d’un musée menacé par la banalisation de l’image, la pression politique sur les institutions culturelles américaines, et le soupçon grandissant d’élitisme. A lui de réinventer le rapport entre la salle et le monde, entre la mémoire et le présent, entre la pensée et la visibilité. « Le musée n’est pas l’endroit où nous allons donner une leçon », explique Christophe Cherix, conservateur en chef des dessins et estampes. « C’est un lieu où vous pouvez expérimenter, comprendre et vous faire votre propre opinion. Nous restons totalement engagés dans la recherche, comme toujours. Mais c’est simplement une manière différente de partager cette collection. Il ne s’agit pas de vous dire “cela est important, ceci l’est moins”, ou “cela a été fait à cause de cela”. »
À sa réouverture, le MoMA présentera trois expositions temporaires. La première, consacrée à Betye Saar, présentera des œuvres sur papier liées à sa sculpture autobiographique Black Girl’s Window. Réalisée en 1969 et faisant partie de la collection permanente, cette œuvre illustre la nouvelle approche consistant à brouiller les frontières entre expositions temporaires et présentations de la collection.
Une deuxième exposition présentera un autre artiste afro-américain, Pope. L. Sa sculpture, performance, vidéo, photographie et art d’installation seront au cœur d’un trio de présentations cet automne au MoMA, au Whitney Museum of American Art et à la Public Art Fund.
La troisième — de loin la plus importante — sera une présentation d’art abstrait dans différents médias par des modernistes latino-américains majeurs, dont Lygia Clark, Hélio Oiticica et Jesús Rafael Soto. Sur moderno : journeys of abstraction mettra en avant des œuvres offertes au MoMA pendant de nombreuses années par Patricia Phelps de Cisneros. Dispersées parmi l’art latino-américain se trouveront quelques œuvres européennes et russes, dont Broadway Boogie Woogie de Piet Mondrian.
Dans une salle du musée, une toile récemment acquise de Carlos Almaraz, Freeway Crash (1981), montre une voiture flamboyante fonçant vers le vide. Le MoMA lui a donné un titre prophétique : Destination Unknown. C’est peut-être l’image la plus juste du moment. Le musée avance, porté par la vitesse du monde qu’il reflète. Reste à savoir s’il trouvera encore, dans cette course, le temps de regarder.
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